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amour de la concorde et horreur d’une guerre fratricide provoquée par ce même ministère... » À ces mots, avant même que la phrase fût achevée, la tempête se déchaînait, les protestations s’élevaient de toutes parts; cette fois la vraie lutte avait éclaté! Cavour, transporté d’indignation, s’agitait au banc des ministres, interpellant le président de la chambre. « Il n’est pas permis de nous insulter ainsi, disait-il; faites respecter le gouvernement et les représentans de la nation. Nous demandons le rappel à l’ordre! » Le président Rattazzi, fort embarrassé et plus que médiocre dans cet orage, ne trouvait rien de mieux que de recommander à Garibaldi d’exprimer son opinion de manière à n’offenser personne. « Il a dit, s’écriait Cavour, que nous avions provoqué une guerre fratricide; c’est bien autre chose que l’expression d’une opinion. » — « Oui, une guerre fratricide ! » répliquait Garibaldi avec emportement. Une agitation extraordinaire remplissait l’assemblée. Aux protestations des députés demandant le rappel à l’ordre se mêlaient les applaudissemens frénétiques des tribunes peuplées de garibaldiens. Défis injurieux, apostrophes violentes se croisaient et se succédaient dans un tumulte indescriptible. Le président se voyait réduit à suspendre la séance.

A vrai dire, cette scène, en réveillant toutes les irritations de la majorité de la chambre, avait consterné les amis les plus sincères de Garibaldi, et lorsqu’après une interruption de quelques instans la délibération recommençait, l’un d’eux, un des combattans de la Sicile et du Vulturne, Bixio, se faisait l’organe de ce sentiment de tristesse. Bixio s’efforçait de pallier les violences de langage de son ancien chef en renouvelant un patriotique appel à la conciliation. « Le comte de Cavour, se hâtait-il de dire, est certainement un cœur généreux. La première partie de la séance d’aujourd’hui doit être oubliée. C’est un malheur qu’elle soit arrivée; il faut qu’elle soit effacée de notre esprit... » Cavour, malgré la blessure qu’il avait reçue et l’émotion qu’il n’avait pu contenir dans le premier moment, Cavour se dominait assez pour répondre à l’appel de Bixio, pour oublier l’injure et entrer en explications. « Ce n’est pas, disait-il aussitôt, que je me flatte de voir rétablie la concorde à laquelle vient de nous convier l’honorable député Bixio. Je sais qu’il y a un fait qui a ouvert un abîme entre le général Garibaldi et moi. J’ai cru accomplir un devoir douloureux, le plus douloureux de ma vie, en conseillant au roi, en proposant au parlement d’approuver la cession de Nice et de la Savoie à la France. Par la douleur que j’ai éprouvée, je peux comprendre celle que doit ressentir le général Garibaldi, et s’il ne me pardonne pas cet acte, je ne lui en fais pas un reproche... » En même temps, le président du conseil ne dédaignait