Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le roi Chéphren ou Schafra, et les trois grandes pyramides. L’Académie ne s’est pas prononcée, et partant la question ne nous paraît point résolue.

Tout ce que nous voudrions avancer sur ce point délicat, c’est que les petits pays ont joué dans l’antiquité et au commencement de l’ère moderne un rôle considérable, extraordinaire dans l’histoire de la civilisation, et que le gouvernement naturel des petits pays est la république, — car les très petits princes sont toujours un peu ridicules, et les très grandes républiques sont exposées à bien des hasards. Ce que les petits pays ont accompli pour le bien et pour la gloire de l’humanité, tout ce qu’ils ont fait produire à la plante humaine est véritablement le miracle de l’histoire. Ils ont été des vases d’élection, d’où la civilisation s’est répandue sur le monde. Où en serions-nous si on nous ôtait tout ce que nous tenons du petit peuple juif et des petites républiques de la Grèce? Que deviendraient nos musées si on les dépouillait de tout ce qu’ils ont hérité de Florence, de Venise et de la Hollande? On a vu au XVIe siècle de simples bourgades jouir d’une véritable importance politique, une cité de douze mille âmes, qui s’appelait Genève, devenir, pour employer le mot d’un éminent historien, « la capitale d’une grande opinion, » et le tout-puissant Philippe II, sur les états duquel le soleil ne se couchait pas, obligé de compter avec Berne. Ce temps n’est plus; nous vivons dans l’âge de la centralisation, des grandes agglomérations et des grands états. Les petits états disparaissent; ceux qui ont survécu jouent un rôle intéressant encore, mais modeste. Ils vivent de souvenirs et ne sont pas exempts d’inquiétudes; ils écoutent, l’oreille tendue, le bruit que fait à la ronde la pioche du démolisseur, qui se rapproche. Ils se demandent avec anxiété s’ils ne se trouvent pas sur le chemin de quelque grand percement, et si on ne va pas les exproprier dès demain pour cause d’utilité publique.

Nous n’avons garde de nier que de grands états ne puissent prospérer et durer sous la forme républicaine; c’est l’expérience qui se fait aujourd’hui en France comme aux États-Unis, et dont nous espérons le succès; mais en ce qui touche les beaux-arts, ces vastes républiques offriront-elles au génie des conditions aussi favorables que les petites républiques de l’antiquité et de la renaissance? Les Athéniens qui ont construit les Propylées avaient des esclaves, et si démocratiques que fussent leurs institutions, c’était un peuple d’aristocrates. Même sous le gouvernement de Cléon, Athènes était une école de respect; elle conservait le culte de ses traditions, le culte des ancêtres; elle sacrifiait humblement le présent au passé, elle n’accordait qu’aux héros et aux demi-dieux l’honneur de figurer sur les métopes de ses temples ou de paraître dans les tragédies de ses grands poètes. Un philosophe a dit que l’art est de sa nature une chose aristocratique. Quel avenir lui réservent