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les arts et dans les sciences, elle a produit aussi des grands capitaines et des hommes de mer illustres. Pourquoi, dans cette nouvelle phase de renaissance dont elle donne le spectacle au monde, n’en produirait-elle pas encore? N’a-t-elle pas déjà témoigné de ses aptitudes militaires en faisant sortir de son sein une armée, une flotte, une organisation défensive? Et toutes les ressources que comporte cette création, elle les a trouvées en elle-même. Elle y a trouvé des soldats et des officiers, des généraux distingués et des écrivains militaires, elle a trouvé, pour se créer une marine, des ingénieurs habiles, et dès aujourd’hui les équipages de sa flotte, par la discipline, la bonne tenue et l’agilité, peuvent soutenir la comparaison avec ceux des marines plus anciennes, des marines séculaires.

L’Italie, comme l’Allemagne, comme la Russie, est amplement dotée de toutes les ressources propres au développement de la puissance navale. Elle a le bois, le fer, la main-d’œuvre, le génie industriel; elle a surtout, avec ses 3,500 kilomètres de côtes au centre de la Méditerranée, une nombreuse population maritime, population robuste et sobre, endurcie à la fatigue. C’est du golfe de Naples que partent chaque année ces flottes de bateaux corailleurs qui s’en vont, sur les côtes de Sardaigne et sur nos côtes d’Algérie, exercer pendant de longs mois leur pénible industrie. Plus d’une fois nous avons eu l’occasion de rencontrer sur mer ces rudes travailleurs, et, en admirant leur robuste endurance et leur patiente énergie, nous nous prenions à envier à l’Italie cette féconde pépinière de vaillans matelots.

Le pavillon italien flotte aujourd’hui sur toutes les mers porté par une flotte marchande qui grossit chaque année. Gênes, l’antique cité, qui, pendant deux siècles, a disputé à Venise l’empire de la Méditerranée, va retrouver bientôt dans l’activité commerciale la richesse des temps passés. Son port, devenu insuffisant, s’est agrandi de tout l’espace occupé par l’arsenal. Quel besoin le nouveau royaume pouvait-il avoir de l’arsenal qui suffisait à la marine militaire du petit royaume sarde? Le gouvernement l’a donc cédé au commerce, comme il lui a cédé l’arsenal d’Ancône et celui de Naples : si des raisons politiques ont fait ajourner la cession de ce dernier, cette cession n’en est pas moins résolue en principe.

Ainsi, tandis que notre marine commerciale va s’amoindrissant, que se ferment successivement nos chantiers de construction, on voit sur les chantiers qui bordent la rivière de Gênes s’élever toute une flotte de navires. Ici le bruit des travailleurs, l’animation, la vie, une vie exubérante; là le silence et presque l’abandon. Chaque année le pavillon italien agrandit ses conquêtes sur les marchés du monde; la place que le nôtre y occupait va décroissant chaque année.