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Par là s’explique, au moins en tant que phénomène extérieur et saisissable, la résistance de ces racines. Le fait brut est évident : il se traduit au dehors par la vigueur de la végétation, au dedans par la conservation de la charpente principale, des axes moyens et même d’une plus forte proportion de chevelu du système radiculaire : plus cette conservation est grande, plus la résistance est prononcée. Très forte chez tous les œstivalis et chez la plupart des cordifolia, très marquée encore chez certains labrusca, elle s’affaiblit beaucoup chez le delaware, type difficile à rattacher aux précédens et qui pourrait bien devoir cette faiblesse constitutionnelle à l’influence héréditaire de quelque croisement avec la vigne d’Europe.

Quant à la cause intime qui détermine la manière d’être des racines vis-à-vis du phylloxéra, mieux vaut dire pour le moment qu’on l’ignore que vouloir la trouver dans des conceptions gratuites et imaginaires : telle est par exemple la théorie qui, se fondant sur des analyses de M. Boutin, voit dans la somme plus ou moins forte d’une matière résinoïde contenue dans les racines, le critérium de leur résistance relative au phylloxéra, et veut expliquer la force des unes par le fait que la résine boucherait mécaniquement les piqûres des insectes, la faiblesse des autres parce que la sève en découlerait par les orifices béans de ces mêmes piqûres microscopiques. L’explication ne supporte pas une minute le contrôle de l’observation directe; elle est contraire à toute notion correcte de physiologie végétale. Loin de couler des nodosités, la sève plastique, qui n’est pas sucée par l’insecte, doit s’employer à former et à nourrir la nodosité elle-même. Ces notions d’une mécanique grossière jurent avec les procédés de la nature, qui nous dévoile sans doute bien des conditions extérieures des phénomènes, mais qui nous cache le plus souvent les ressorts secrets auxquels ces phénomènes obéissent. En tout cas, aucun agriculteur ne sera tenté d’estimer, par une analyse chimique des racines, le taux de résistance d’une vigne donnée; il préférera pour cela l’expérience agricole qui parle aux yeux et résume dans la végétation de la plante l’ensemble de ses aptitudes à s’accommoder au sol et au climat nouveaux que la culture lui impose. Est-ce à dire qu’il ne faille pas chercher dans les profondeurs des organes les raisons de leur vie extérieure? Cette recherche est utile, nécessaire même; mais elle demande d’autres moyens que la spéculation théorique, rêvant des caillots de résine pour boucher les blessures faites au tissu d’une plante par les filets microscopiques d’une trompe de puceron. Qu’il y ait un certain rapport entre la proportion de résine des racines de vignes diverses et leur résistance antiphylloxérique, ce serait rigoureusement possible; j’avais pensé moi-même, en goûtant en Amérique les racines