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entendons s’élever les premiers accords du gammelang. L’orchestre javanais se compose de gongs, de cimbales, de cloches de divers timbres, de tambourins, dont l’ensemble donne une musique très rhythmée, sans mélodie appréciable, et cependant assez agréable à l’oreille par ses sonorités métalliques et cadencées. Bientôt s’avancent deux bayadères aux formes élégantes, savamment peintes de boreh, qui, l’écharpe à la main, viennent se prosterner d’abord devant le maître, puis entament une danse voluptueuse et molle, presque marchée, plus expressive par les mouvemens harmonieux des hanches et des bras que par ceux des pieds, cachés sous la jupe serrée à la taille. Leurs visages d’un brun clair sont assez jolis, comparativement à ceux des hommes, mais sans s’écarter du type. Elles multiplient leurs poses à l’infini, puis, sur un signe, se prosternent de nouveau et se retirent, la face toujours tournée vers le public. Aux bayadères succède une danse plus curieuse encore, le viring, annoncé par les accords plus vigoureux de l’orchestre. Ce sont quatre jeunes guerriers, le sarong retroussé, le buste nu, le casque en tête, le bouclier d’une main, le javelot de l’autre, qui dansent avec les altitudes les plus gracieuses une sorte de pyrrhique très animée, très expressive, image élégante des péripéties d’un combat. Leurs formes délicates, leurs postures, leurs gestes, ramènent la pensée vers l’antiquité, vers les scènes que l’on retrouve sur les vases étrusques et dans les bas-reliefs romains.

En quittant Mangoro-Negoro, nous nous rendons au Kraton, résidence du sousouhounan; c’est une vaste enceinte de hautes murailles fermées par des portes que gardent les soldats déguenillés du sultan. A l’intérieur se trouve une véritable ville où les palais, les harems, les huttes, les jardins s’entremêlent; c’est là que logent les fonctionnaires, les princes du sang, les serviteurs grands et petits, en tout une population de 10,000 personnes, à la solde du souverain, qui, malgré les immenses revenus de sa principauté, n’est guère riche quand il a payé les revenus affectés à ces charges innombrables. Nous ne pénétrons ni dans le harem, sévèrement interdit à tout étranger, ni dans le palais assez délabré, mais nous avons tout loisir d’examiner le aloon-aloon qui précède l’entrée : c’est une vaste cour sablée où s’élève une petite estrade en forme de Pandeopo, faisant face à la porte du château. Cette cour est le théâtre des fêtes annuelles célébrées à l’anniversaire de la naissance de Mahomet et aussi du rampok, fête extraordinaire qui a lieu lors de la tournée que chaque gouverneur général fait, une fois pendant son proconsulat, dans toutes les provinces. Un tigre est alors amené dans sa cage au milieu de la cour, remplie de quelques milliers de Javanais armés de piques, disposés sur plusieurs rangs