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hâtives transformations de sa vieille terre. Il est fort à l’étroit dans ce modeste bâtiment : tous ces dieux et ces rois mériteraient sans doute un autre palais, et il est question depuis longtemps de leur construire un musée définitif. Le nouveau musée sera plus somptueux, plus digne d’eux; je ne sais s’il leur sera plus hospitalier. C’est une pensée amicale d’avoir placé ces dieux et ces rois dans ce faubourg de fellahs, leur postérité lointaine, et tout au bord de leur fleuve paternel, de ce Nil divin qui cache dans l’espace comme dans le temps ses sources mystérieuses, qui a fait de son limon et vivifié de son âme leur empire, qui est l’Egypte, comme a dit Hérodote. Quand les belles eaux diaprées qu’il roule des cataractes de Nubie, après avoir reflété dans leur course de 1,000 lieues les temples ruinés et les horizons des tropiques, viennent, avant de se jeter à la mer, battre les assises lézardées de la maison de Boulaq, elles semblent ralenties et émues comme un enfant qui passe devant le toit de l’aïeul.

Et puis il y a dans le hasard des dispositions matérielles du musée une source de méditations fécondes. Le visiteur a passé de longues heures dans le demi-jour des salles, tout emplies de souvenirs et de représentations funéraires, dans le commerce des momies et des images primitives; il a déroulé cette longue suite de siècles comme les feuilles émiettées des anciens papyrus, il a perdu pied dans le temps et s’est senti enfoncer jusqu’à ces couches obscures de l’histoire que le regard n’a jamais mesurées, que la sonde n’a pas touchées. Tout ce qui l’entoure ne lui a parlé que de la mort; ces corps intacts, ces figures de granit, ces attestations de victoires et de splendeurs royales, comme ces objets domestiques, l’ont poursuivi de la même et ironique leçon sur l’amère vanité d’être : il ploie écrasé sous le poids de cet interminable passé, sous le sentiment de sa petitesse en face de lui, sous les problèmes et les mystères qui le sollicitent, il fuit tous ces regards immobiles qui le poursuivent et cette atmosphère de sépulcre qui l’étouffe. Voici qu’un seul pas le porte sur ce petit balcon à ciel découvert qui surplombe le fleuve et commande les riantes perspectives de Gizeh; il retombe brusquement dans la plus triomphante affirmation de la vie qui puisse éclater en ce monde. Quel que soit le jour de l’année et l’heure du jour, un soleil splendide lui envoie sa chaude couronne de rayons et moire les flots de lumières palpables; le Nil puissant roule dans sa majesté avec un sourd bruissement de vie; les lourdes dahabiés glissent, chassant devant elles des ombres vigoureuses, aux cris de leurs rameurs qui s’excitent de la voix. Sur la grève du père nourricier, la population afflue sans relâche : femmes emplissant les jarres qu’elles portent penchées sur la tête, enfans s’ébattant dans