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ni de mine ni de forme, depuis les musiciens représentés dans les hypogées : l’air était bien sûr le même, air national s’il en fût pour la pauvre Égypte, long sanglot modulé sur l’invariable thème oriental ; mais si triste, si infini, qu’on eût dit la plainte des vents qui arrivent des espaces torrides à travers l’immense désert d’Afrique. J’écoutai longtemps la reprise monotone de ces quelques notes, et je n’ai pas souvenir d’en avoir entendu de plus désespérées. Cela doit être. Si la vraie musique d’un peuple est faite, comme il semble, avec les larmes qu’il a répandues, quel chant luttera avec celui de la race toujours foulée, jamais détruite, dont le Nil « boit les pleurs » depuis les jours fabuleux qui nous occupent ?

Je voudrais dans un autre genre, citer le magnifique hymne au soleil :


« Tu t’éveilles bienfaisant, Ammon-Râ, tu t’éveilles véridique… Avance, seigneur de l’éternité… Ceux qui sont goûtent les souffles de la vie. Tu es béni de toute créature, être caché dont on ne connaît point l’image, enfant qui nais chaque jour, vieillard qui parcours l’éternité ! C’est lui qui exauce la prière de l’opprimé ; doux de cœur à qui l’implore, délivrant le timide de l’audacieux, juge du puissant et du malheureux. — Maître de l’intelligence, sa parole est substance. Il donne le mouvement à toutes choses : par son action dans l’abîme ont été créées les délices de la lumière… »


La profondeur philosophique et scientifique de ces dernières lignes mériterait seule un long commentaire. Je me contente de renvoyer ceux qui seraient curieux de ces belles choses aux traductions de MM. Maspéro, Lauth, Grébault, Chabas, Mariette, auxquelles j’ai emprunté ces fragmens, et je reviens à ce premier livre, obscur et magnifique, que nous appelons Rituel funéraire ou Livre des morts : il m’amènera à dire quelques mots de la religion de l’ancien empire ; la littérature n’est que son humble servante comme à toutes les époques primitives.

Le Rituel, « le Livre de la manifestation à la lumière, » est, comme on sait, une sorte de liturgie funèbre, l’histoire des pérégrinations de l’âme dans les terres divines, entremêlée de prières, de théodicée et d’une symbolique compliquée. La momie était munie d’un exemplaire plus ou moins complet de ce catéchisme d’outre-tombe ; il a nécessairement varié dans le cours des siècles et nous en possédons des recensions d’époques fort diverses. Il se compose de cent soixante-cinq chapitres ; les plus importans sont