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dieux arrivent, en petit nombre d’abord et timidement, vers la XVIIIe dynastie, comme une protection pour le défunt. Plus tard ils augmentent, tout le panthéon funéraire se déroule sur les stèles, toutes les terreurs du jugement y remplacent la confiance tranquille des ancêtres ; les sarcophages des derniers Saïtes nous montrent l’âme poursuivie dans des épreuves formidables par une légion de déités et de monstres, dignes de l’imagination macabre du moyen âge et du pinceau d’Orcagna; la mort est devenue cauchemar.

Une erreur opposée a été accréditée par cette absence de représentations religieuses sur les anciens monumens et dans les tombeaux de Saqqarah. On a voulu voir dans les premiers Égyptiens un peuple matérialiste, étranger à toute idée spirituelle et se figurant l’autre vie comme une continuation de celle-ci, avec ses travaux, ses joies bornées. C’est les rabaisser au niveau des Peaux-Rouges, transmigrant dans les prairies bienheureuses. Les vieilles doctrines du Livre des morts protestent contre cette fausse interprétation des tableaux agricoles de Saqqarah, où le défunt entendait uniquement retracer sa vie passée. Quelques savans, s’exagérant sans doute l’importance de la personnification du dieu solaire sous son nom d’Ammon-Râ, ont fait découler toute la théodicée égyptienne du culte du soleil. L’idée primitive semble être bien plutôt, comme l’a dit très-justement M. Grébault, celle d’un dieu., unique agissant par son soleil. Enfin de bons esprits ont trop étroitement circonscrit leurs recherches en voulant faire rentrer toute la religion égyptienne dans un de, nos termes d’école : polythéisme, panthéisme, monothéisme. Les premiers se sont fait illusion en mettant des personnes distinctes sous les noms multiples donnés à la divinité, suivant l’attribut sous lequel on l’envisage, suivant le nôme où elle est adorée. Les autres se sont laissé influencer par les spéculations postérieures de Jamblique et du panthéisme alexandrin. Je crois, pour ma part, que nous risquerons toujours de nous égarer en rangeant arbitrairement dans nos catégories actuelles les conceptions d’hommes si éloignés de nous par le temps, de pensées si différentes des nôtres. Flottantes et confuses comme elles nous apparaissent dans les plus anciens textes, ces conceptions semblent avoir mêlé, dans une synthèse assez vague et dans une mesure difficile à déterminer, les trois solutions que l’esprit humain a données plus tard au problème religieux. L’idée primordiale est celle d’une divinité une et trinaire à la fois : un principe double, mâle et femelle, s’engendre lui-même de toute éternité dans la nuit de l’abîme, « jouit en lui-même, » dit un passage du Rituel; de ce principe procède une troisième personne appelée, suivant le point de vue auquel on la considère, Ptah comme démiurge, Râ comme