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mille ans qui ont passé un instant comme nous par des nuits pareilles, rêvé, senti, médité, regretté les joies mortes, cherché le bien insaisissable, remué les grands problèmes.

Quand l’effrayante série de siècles dont ils témoignent ne suffit pas à rassasier l’imagination, elle se reporte pour chercher plus d’infini sur ce monde extérieur, qui a été créé, suivant la belle expression d’Ampère, pour nous être une occasion de penser; et comme c’est l’honneur de l’esprit humain de pouvoir reculer toujours plus loin l’horizon de ses inquiétudes, la pensée monte aux étoiles, à ces admirables constellations du ciel d’Egypte, pour y trouver les témoins d’un passé plus insondable encore : on songe que de ces lumières, dont quelques-unes mettent dix mille ans à nous parvenir, il en est peut-être, la science le soupçonne, que nous voyons et que ces aïeux n’ont pas connues, d’autres qui les ont éclairés et qui sont éteintes pour nous. — L’âme perdue vague ainsi dans ces abîmes du temps et de l’espace; c’est l’heure des troubles intimes, ce serait celle des défaillances de la raison devant sa propre misère et de la négation de toute certitude, si la raison ne se rappelait que sa grandeur est supérieure à toutes ces puissances de la matière. Il suffit, pour s’en souvenir, d’abaisser les yeux sur cette humble maison où un vaillant esprit a lutté pendant de dures années, arrivant par la seule force de la pensée à ressusciter tout ce monde enseveli, à s’ouvrir le chemin du merveilleux Sérapéum, — et si l’on doutait de l’idéal infaillible de vérité et de justice que cette vacillante humanité a sauvegardé à travers toutes ses transformations de pensée, si l’on craignait pour cette forte lumière de la conscience, plus inextinguible que celle des étoiles, il suffirait de revenir à la tombe du vieux Ptah-Hotep, de ce juste qui a dit dans la première langue ce que voudra dire en mourant tout juste, de tout temps, de toute langue : « Je suis sorti de ce monde, où j’ai dit la vérité et fait la justice : vous qui viendrez après, rendez témoignage à votre ancêtre. » — C’est pour rendre ce témoignage que ceci a été écrit.


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUÉ.