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ROBERTE DE BRAMAFAM

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I.

Le 2 septembre 1869, on célébrait un beau mariage à Sainte-Clotilde. Le marquis Loïc de Bramafam épousait une riche héritière, Mlle Roberte Marestreux.

Les Bramafam ne sont alliés à aucune des grandes familles : il est notoire en effet que leur noblesse ne remonte pas bien haut. Le premier des Bramafam s’appelait purement et simplement Antoine Jurançon, et remplissait en 1789 les fonctions d’intendant chez le vieux marquis de Sairmeuse. Lors de l’émigration de 92, le marquis refusa de se réfugier à Coblentz comme tant d’autres. Demeuré seul dans son château, au milieu des bruyères du Maine, M. de Sairmeuse, après avoir perdu successivement toute sa famille, vit passer les plus sanglantes journées de la Terreur sans que nul péril le menaçât. Très incrédule, railleur impitoyable, il lui restait de sa vie agitée un profond mépris des hommes. Il ne se cachait pas pour dire, entre haut et bas, que la révolution était un bonheur pour la noblesse française, et quand d’aventure quelqu’un s’étonnait de cette opinion un peu paradoxale, le marquis ajoutait avec un sourire : — Sans M. de Robespierre, nous aurions fini dans la boue, nous finissons dans le sang. Tout bénéfice !

Très attaché à son maître, imbu du respect des grands noms, Antoine Jurançon s’était présenté, un matin de 1793, chez le vieux marquis, pour lui demander son congé ; il comptait rejoindre l’armée vendéenne commandée par M. de Lescure. Le marquis avait haussé les épaules, aspiré une prise de tabac et accordé le congé en disant : — Va, mon garçon ; seulement retiens bien ceci : tu fais une sottise en partant ; tu feras une double sottise en ne revenant pas.

Par bonheur, Antoine Jurançon devait reparaître, et reparaître couvert de gloire. Une nuit, cerné avec son bataillon dans un bourg naturellement fortifié, il avait su organiser une défense admirable.