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et de probité. Il savait que le marquis n’avait jamais été amoureux de Mme Chandor. Pourquoi une passion pour elle lui serait-elle venue si tard ?

Vivian Duvernay avait à peu près le même âge que Loïc. Pauvre, il s’était jeté à corps perdu dans l’étude Son nom, connu et estimé dans un petit groupe de savans, gagnait une certaine notoriété à des travaux de portée considérable. Brillant élève de l’école normale, il allait donner sa démission après huit ans de services universitaires, quand il fut nommé par le ministre professeur à la Faculté des Sciences de Paris. On aurait pu croire que cet esprit sérieux exerçait une influence sur le caractère mondain de Loïc ; c’était le contraire. Dans la vie comme au collège, l’influence était du côté de Loïc. Vivian n’avait jamais le courage de blâmer ce qu’il appelait des folies « regrettables. » C’était un mot qu’il répétait volontiers. Cet homme doux haïssait par-dessus tout les expressions violentes. À son arrivée au château, il s’était contenté de répondre à son ami, qui lui demandait ses réflexions sur la lettre que nous connaissons :

— Oui,… oui ;… j’ai lu cela avec peine. C’est regrettable, mon ami, très regrettable.

Au fond, il en souffrait, car il aimait tendrement le marquis.

— Je crois qu’il serait temps de rejoindre la marquise, dit le général, quand Loïc eut donné l’ordre de transporter le cerf au château. Eh ! mon gaillard, après un mois de mariage !..

Loïc eut un mouvement d’impatience, et Norine détourna la tête pour qu’il ne la vît pas sourire.

Mme du Halloy et Roberte avaient continué leur promenade en voiture pendant que les cavaliers couraient sous bois ; on devait se retrouver à un endroit convenu. Quand les chasseurs s’arrêtèrent auprès du landau, Mme du Halloy exprimait à la marquise l’émotion « que les sites enchanteurs du paysage faisait naître en elle. » Songeuse et attristée, Roberte n’écoutait guère les divagations poétiques de la vieille dame, et celle-ci s’avouait tout bas qu’elle n’avait jamais eu, un auditoire aussi complaisant et surtout aussi muet.

— Voulez-vous me donner une place à côté de vous, marquise ? demanda Norine. Je suis un peu fatiguée.

— Volontiers, madame, répondit Roberte, comme arrachée en sursaut à un rêve.

M. de Bramafam mit sa monture au petit galop sous prétexte d’escorter les dames. Il voulait seulement prendre de l’avance sur la cavalcade afin de réfléchir. Mme Chandor produisait sur lui une impression bizarre. Étaient-ils donc vrais, ces bruits répandus naguère