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ces parages serait la poursuite du commerce ennemi, et elle est préparée à ce rôle.

Pourtant la Russie n’a pas entendu se désintéresser de toute action lointaine. Puissance asiatique aussi bien qu’européenne, elle suit d’un œil attentif et vigilant les transformations qui s’opèrent dans l’extrême Orient. Là, des barrières séculaires sont tombées sous le canon des hommes d’Occident. Elles abritaient des civilisations immuables dans leur forme et dont les origines se perdent dans la nuit des temps. Que vont devenir ces antiques civilisations? Vont-elles renaître et se retremper à une civilisation étrangère? ou bien leur foyer va-t-il s’éteindre pour toujours? Rome appelait barbares les hommes du Nord dont le flot envahisseur avait tant de fois battu le pied de ses murailles avant de les renverser, et elle a subi le joug de ces barbares. Les nations de l’extrême Orient sont-elles vouées à un pareil avenir? subiront-elles la domination de ces hommes d’Occident qu’elles appellent aussi des barbares? Un temps viendra, et ce temps n’est peut-être pas bien éloigné, où, la question d’Orient étant épuisée, la question de l’extrême Orient surgira à son tour; alors la Russie sera prête. Déjà elle a poussé ses avant-postes jusque sur les rivages que baignent les mers du Japon. Elle avait fondé aux embouchures de l’Amour un autre Nikolaïef, mais l’Amour est fermé par les glaces une partie de l’année, et la voilà qui transporte plus au sud, sur les confins de la Corée, ses établissemens maritimes et militaires : Nikolaïef est remplacé par Vladivostock; s’arrêtera-t-elle là? Quoi qu’il en soit, quand s’ouvrira la question de l’extrême Orient, le pavillon russe flottera sur ces mers, il y abritera un port militaire et une force navale prêts à faire sentir sur ce lointain théâtre la main puissante de l’empire russe.

Pour créer sa flotte de la Baltique, la Russie n’a pas fait appel à l’industrie étrangère. Elle n’a pas acheté cette flotte, elle l’a fait sortir toute armée de son sein, elle a construit navires et machines, fabriqué cuirasses et canons. Ses machines, c’est l’industrie nationale, ou importée sur le territoire national qui les fabrique ; ses canons sortent des ateliers fondés par le gouvernement à Perm et à Obouchof. Les ouvrages défensifs de la Mer-Noire et de la Baltique, les forts de Kertch, de Sébastopol, d’Otchakof et d’Odessa, comme ceux de Kronstadt, comme ces importantes forteresses de la frontière de terre qui regardent l’Occident, sont armés de canons russes en acier, canons de 23 et de 28 centimètres, et mortiers rayés de 28 centimètres[1].

  1. Sous la pression des circonstances, la Russie vient de comploter l’armement de ses côtes avec des canons Krupp.