Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

firent le trajet en voiture. À Nantes, un encombrement de troupes dans la gare les retarda de deux jours ; enfin elles purent gagner Tours. Ceux qui ont vu la capitale de la Touraine à cette époque funeste se rappellent sans doute les démarches sans nombre qu’il fallait faire pour obtenir un renseignement, si petit qu’il lut. Heureusement elles rencontrèrent là un ami de la famille qui leur aplanit toutes les difficultés. La marquise apprit que le régiment des mobiles de la Côte-d’Or campait devant Orléans avec le gros de l’armée du général Chanzy. Elles allaient se mettre de nouveau en route quand la fatalité les atteignit encore ; Mme Prémontré tomba malade.

— Je ne veux pas que tu manques à ton devoir par ma faute, dit-elle à sa nièce. Je ne t’ai rendue que trop malheureuse déjà ! Tu n’as rien à craindre pour moi ; je suis ici dans une maison amie où aucun soin ne me manquera. — Et comme la marquise se défendait : — Je t’en supplie, ajouta sa tante, ne me donne pas le désespoir de me trouver toujours entre le bonheur et toi.

De Tours à Orléans, le voyage était facile : des trains de chemin de fer couraient sans cesse sur la ligne apportant des renforts et des vivres à l’armée. Le froid sévissait, des rafales de vent et de neige s’abattaient tous les jours, comme si nous devions épuiser toutes les souffrances dans cette année maudite. La marquise, partie de Tours le matin à neuf heures, ne fut à Orléans qu’un peu avant minuit, le 30 novembre. Quelles dures pensées l’avaient torturée pendant ce pénible trajet ! quelles longues heures d’angoisses ! Elle se représentait son mari blessé, tué même, et gisant sur le sol. Le canon qui tonnait au loin la faisait frissonner.

Un homme de peine de la gare se chargea de la valise, et, marchant devant Roberte, la conduisit dans un des hôtels d’Orléans les plus rapprochés. Minuit sonnait ; mais la ville entière s’agitait, et il sortait de la vieille cité ce murmure sourd qui ressemble au bourdonnement d’une énorme ruche d’abeilles. Roberte ne s’endormit qu’au matin d’un sommeil pénible et lourd, traversé par des rêves affreux ; quand elle ouvrit les yeux, il faisait jour, une lueur pâle éclairait la chambre dénudée et triste.

— Comme il est tard ! songea-t-elle.

Une heure après, elle avait acheté à grand’peine une vieille berline et deux chevaux. Un paysan réfugié lui demanda cent francs pour la conduire, elle lui en promit le double, si elle entrait avant la nuit close dans le village de Saint-Péravy, où était établi le quartier-général du commandant en chef. Vingt-trois kilomètres séparent Saint-Péravy d’Orléans ; c’est un petit bourg appartenant au canton de Palay.