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mari à la faible lueur d’un quinquet fumeux, accroché au bois de la barraque. Loïc essaya de remuer ; mais il jeta aussitôt un cri de douleur, ses yeux s’ouvrirent et il aperçut la jeune femme agenouillée près de lui.

— Norine ! dit-il.

Roberte recula brusquement. Quel nom il lui donnait !

— Merci, Norine, balbutia le blessé.

Ce fut tout. Il était retombé déjà dans son engourdissement fébrile. Quand M. du Halloy reparut, au bout d’une demi-heure, il retrouva sa nièce à genoux, comme il l’avait laissée ; seulement le visage de Roberte était inondé de larmes.

— Trop de pleurs, dit-il d’un ton fâché, c’est inutile et affaiblissant ! Je vous ramène tout ce qu’il faut, ou du moins tout ce que j’ai rencontré, une charrette avec trois bons chevaux de labour, car votre voiture s’est envolée. Votre cocher avait reçu son argent, il est parti avec l’attelage et le carrosse : tout bénéfice !

On transporta Loïc dans la charrette, au fond de laquelle un matelas était étendu. On l’enveloppa de couvertures, et, comme la marquise allait monter près de lui, M. du Halloy la retint par le bras.

— Ce brave homme, ajouta-t-il en montrant un paysan trapu et solide, connaît bien son chemin et va vous conduire. Vous marcherez toute la nuit, de façon à arriver demain vers midi à la Ferté-Imbault, près de Bourges ; là, vous serez à l’abri. Montez.

M. du Halloy jeta une chaude capote militaire sur les épaules de sa nièce, et, entourant ses jambes d’une couverture, il reprit avec une sorte de gaîté triste : — On peut aller comme cela jusqu’au bout du monde ! Embrassez-moi, ma nièce, et bon voyage !

Roberte l’aperçut encore quelques minutes après le départ, debout dans la neige ; elle agita doucement sa main en guise d’adieu, puis elle demeura seule, dans la nuit, sur cette charrette, à côté de son cher blessé que le vent glacial n’atteignait pas. Les chevaux marchèrent toute la nuit sans s’arrêter. Au matin, vers Sauvigny, Roberte ne sentait plus le froid, tant l’engourdissement de son corps était grand. Pas une plainte pourtant ne sortit de ses lèvres ; elle pensait et priait, uniquement attentive aux mouvemens de Loïc. Trois ou quatre fois il eut soif ; Roberte soulevait alors la tête du blessé sur ses genoux et le faisait boire comme un enfant.

Un peu avant onze heures, le paysan lui montra le gros bourg de la Ferté-Imbault dans la vallée de l’Indre. C’était la fin du voyage, car l’invasion ne devait pas s’avancer jusque-là. Ce fut dans la petite ville à qui offrirait sa demeure au marquis de Bramafam. Le médecin de la Ferté confirma les paroles du chirurgien-major.