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La blessure n’était pas dangereuse ; elle exigeait seulement beaucoup de repos.

Quand Roberte se fut installée avec son mari dans une maison de la ville, elle commença seulement à s’apercevoir qu’elle n’avait pas encore subi la plus pénible de ses épreuves. Elle avait enduré la fatigue, le froid, les privations de toute sorte pour amener son mari sain et sauf hors de la portée de l’ennemi : tout cela n’était rien à côté de la souffrance morale qui l’attendait. Toujours en proie au délire, Loïc savait pourtant qu’une femme le soignait avec un admirable dévoûment ; mais pour lui, cette femme c’était Mlle Chandor. Il regardait Roberte, mais ne la voyait pas. Lorsqu’il l’appelait, il disait : « Norine ! » Souvent il tenait la main de sa femme serrée dans la sienne, et alors, d’une voix faible, lui demandait pardon d’avoir cru qu’elle était capable de l’abandonner. Quelle torture pour la malheureuse Roberte ! Il n’y avait pas une pensée pour elle dans les paroles de son mari ; tout s’adressait à la maîtresse. A travers les discours incohérens de Loïc, elle comprit pourtant que la Hongroise, épouvantée sans doute par l’invasion, avait refusé de rentrer en France.

Ainsi Mme Chandor, après lui avoir volé son mari, la dépouillait encore du mérite de son sacrifice ! Elle souffrit pendant huit jours plus qu’elle ne croyait pouvoir souffrir, et, comme ceux pour qui l’on pleure vous deviennent d’autant plus chers qu’ils vous coûtent davantage, la jeune femme ressentit bientôt pour Loïc le plus violent de tous les amours : celui qui est fait de larmes et de terreurs. Une pensée ne la quittait pas : son mari ne l’aimait plus ! Norine seule régnait dans ce cœur que Roberte n’avait pas su conquérir.

Le soir du huitième jour, la marquise prenait quelques instans de repos dans une pièce voisine, quand le médecin, entrant dans la chambre de M. de Bramafam, le vit éveillé, très faible, mais lucide.

— Il paraît que mon malade va mieux ? s’écria-t-il.

— Je sors d’un rêve, murmura Loïc. Où suis-je ? Où est l’armée ?

— Vous êtes ici à la Ferté-Imbault, près de Bourges, commandant : quant à l’armée, trente lieues vous en séparent.

— Trente lieues ? Qui m’a transporté ici ?

— Votre femme.

— Ma femme !

— Oui, parbleu ! La marquise de Bramafam elle-même. C’est un vrai roman. Vous lui aviez conseillé, non sans raison, de s’éloigner du théâtre de la guerre ; mais il paraît que la marquise n’a pas été de cet avis-là. Elle a appris par un journal où vous étiez,