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une mâture lourde et encombrante, les canons étant devenus d’ailleurs très pesans. Enfin il paraissait impossible de maintenir l’abaissement de la coque presqu’au niveau de l’eau, du moment qu’il s’agissait de naviguer, et par conséquent de recevoir les coups de très hautes vagues.

On inventa les tourelles : en d’autres termes, on plaça sur le pont des bâtimens une ou plusieurs tours basses, revêtues de plaques de fer, tournant sur elles-mêmes, abritant chacune deux pièces de canon d’un poids énorme qu’on pouvait orienter dans toutes les directions, et dont un seul coup avait assez de force pour crever la cuirasse d’un bâtiment ennemi. Voici quels furent les principaux avantages de cette innovation : L’heure du combat étant venue, les hommes disparaissent sous le pont du bâtiment. Les seuls servans des pièces occupent les tourelles, où ils se trouvent parfaitement à l’abri. Le navire, bas sur l’eau, n’offre au-dessus qu’une bande de fer difficile à atteindre. Les canons élevés à la hauteur des tourelles dominent l’horizon. La mobilité de ces petites tours, évoluant sur elles-mêmes, donne de l’incertitude au tir de l’ennemi, dont les projectiles glissent sur leurs murailles de fer cylindriques sans les entamer. Les sabords en sont étroits. Après chaque coup, on détourne le sabord, on le ferme pour recharger la pièce en toute sécurité, pendant que l’autre bouche à feu, tournée vers l’ennemi, envoie son projectile. L’intervention de l’éperon, dans les batailles maritimes, donnait un nouveau mérite à l’invention des tourelles, due au célèbre ingénieur suédois Ericsson. Un bâtiment lancé sur l’ennemi pour le couler en le frappant avec son éperon, se présente nécessairement par la pointe. Dans cette position, toute artillerie placée sur les flancs du navire agresseur peut être annulée, tandis qu’il risque au contraire d’être pris d’enfilade par les batteries de son adversaire. Les tourelles tournantes pouvant diriger leur feu dans le même sens que l’éperon, cette machine de guerre se trouverait appuyée par l’artillerie au lieu d’agir seule au moment du choc.

Telles furent les principales considérations qui déterminèrent l’adoption des tourelles, et ce genre de construction entraîna d’abord la réforme des bâtimens armés en batteries de côté à poste fixe. Ils furent délaissés, et l’on n’entendit plus parler que des navires à tourelles; on n’en voulut plus d’autres. Mais voici qu’après avoir dépensé beaucoup d’argent à supprimer les batteries de flanc, on se mit à les regretter, et l’on donna, de ce regret, les raisons suivantes : les batteries de flanc ont l’avantage de réunir un plus grand nombre de pièces d’artillerie. Quoique un seul gros canon vaille mieux que dix petits pour déchirer les plaques de fer, une seule pièce d’artillerie a l’inconvénient de ne tirer qu’un seul projectile