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qui donne des leçons de tout. Ce n’était pas assez encore : tandis qu’il devenait ainsi le maître des écoles, le peuple en faisait un redoutable magicien et lui attribuait les prodiges les plus extraordinaires. Dans toutes les contrées de l’Europe, on composait des poèmes remplis d’aventures merveilleuses dont il était le héros, et la renommée de l’enchanteur finissait par dépasser de beaucoup celle du poète. Comment de si singulières légendes avaient-elles pu se former autour de son nom ? Par quel chemin en était-on venu à faire un maître d’école d’un poète, un personnage fantastique d’un écrivain réel, qui avait vécu en pleine lumière, au milieu d’une époque sceptique et lettrée, et pouvait-on rien trouver dans sa vie et ses œuvres qui eût servi de prétexte à ces étranges inventions ? C’est ce que plusieurs érudits, en France et en Allemagne, s’étaient déjà demandé sans beaucoup de succès. Aujourd’hui le problème est résolu, et depuis l’apparition du livre de M. Comparetti on peut répondre à toutes ces questions avec certitude.

Si M. Comparetti a mieux réussi que ses prédécesseurs, c’est grâce à l’étendue de ses connaissances : comme il avait sur eux l’inappréciable avantage de posséder également les littératures classiques et celles du moyen âge, il lui a été possible de suivre toutes les phases par lesquelles a passé la réputation de Virgile depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la renaissance. Il a pu consulter directement les grammairiens de toutes les époques et les poésies écrites dans toutes les langues ; l’italien et le haut allemand, le provençal et le vieux français, lui ont fourni les renseignemens les plus curieux. De ces lectures infinies, qui embrassaient à la fois les textes imprimés et inédits, il a tiré un livre très savant, qu’il a su rendre fort agréable. M. Comparetti n’est pas seulement un érudit très solide, c’est un lettré plein de goût, un polémiste passionné, un historien, un philosophe. Quoiqu’il aborde résolument les recherches les plus minutieuses, les vues générales ne l’effraient pas. Elles abondent dans son livre, et, à propos de Virgile, les questions les plus controversées, les plus importantes, sont agitées et souvent résolues avec une liberté d’esprit et une élévation de pensée qui frapperont ceux mêmes dont M. Comparetti combat les opinions. Ils trouveront d’ailleurs chez lui, jusque dans les plus arides discussions, un noble sentiment, le patriotisme, qui répand partout l’intérêt et la vie. M. Comparetti aime l’Italie avec passion ; il est fier de son passé, il croit à son avenir. Il ne manque aucune occasion de la glorifier dans les grands hommes et les beaux ouvrages qu’elle a produits. Peut-être ce patriotisme ardent l’entraîne-t-il quelquefois à des exagérations dont il est aisé de faire justice, mais s’il n’en évite pas toujours les défauts, il en a surtout les qualités :