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En même temps qu’il décrit ce qu’il a vu ou ce qu’il a cru voir, il répète fidèlement ce qu’on lui a dit. Sa crédulité est sans bornes, et il ajoute foi à tous les récits qu’on lui fait. À Naples, on l’a beaucoup entretenu des merveilleuses inventions de Virgile, et, comme il est très frappé de ces histoires, il a grand soin de les redire. C’est ainsi qu’il nous parle le plus sérieusement du monde d’une sorte de reproduction ou de petit modèle de la ville, fabriqué par Virgile et enfermé dans une bouteille, sans qu’on voie comment il y est entré. C’était un palladium qui devait protéger les murailles de Naples et la rendre imprenable à ses ennemis ; il est question aussi d’un immense cheval de bronze qui préservait de tout mal les petits chevaux du pays, et d’une mouche d’airain, placée à l’entrée de la ville, dont la puissance magique empêchait aucune autre mouche d’y pénétrer ; ce qui n’est pas un médiocre avantage dans les contrées du midi : la mouche et le cheval étaient l’œuvre de Virgile. Il avait de plus réuni par son art et enfermé sous une porte de fer tous les serpens qui infestaient les environs, pour les empêcher de nuire à personne. Ce n’est pas tout encore : dans l’intérieur de la ville, il a bâti un marché où la viande peut se garder six semaines sans se pourrir ; à Baïes, il a creusé des bains merveilleux, qui guérissent toutes les maladies ; en face du Vésuve, pour sauver la cité des périls que le volcan lui fait courir, il a élevé la statue d’un archer dont l’arc est bandé, la flèche prête à partir, et cette menace suffit à maîtriser la terrible montagne. Voilà ce que Conrad raconte sans hésiter et de la meilleure foi du monde ; il a vu de ses yeux la statue, la bouteille, la mouche, le cheval, et il croit tout ce qu’on en rapporte. M. Comparetti fait remarquer qu’il avait pourtant des raisons particulières de douter au moins de quelques-uns de ces prodiges. Il venait précisément d’assiéger Naples, par l’ordre de son maître, et, malgré tout l’art de Virgile, il l’avait prise et démantelée : comment pouvait-il continuer à croire que le fameux palladium la rendait imprenable ? Il est vrai qu’il nous dit que, lorsqu’il prit à sa main le petit modèle enfermé dans la bouteille, il s’aperçut que le verre était fendu, ce qui devait nuire sans doute à l’efficacité du talisman.

Quoi qu’il en soit, le récit de Conrad de Querfurt nous montre la légende, non pas à son origine, — il est probable que ces fables circulaient parmi le peuple napolitain depuis des siècles, — mais sous sa première forme. On ne peut pas douter qu’elle ne soit née à Naples, où Conrad la trouva vivante et la recueillit de la bouche des habitans, et il est assez aisé de voir ee qui lui avait donné naissance. Virgile, nous le savons, habitait volontiers cette ville et il devait y être très populaire. Il l’était du reste devenu partout : ce