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En septembre ils se quittèrent; Shelley et Mary Godwin retournèrent en Angleterre, et Byron partit en octobre pour l’Italie. Ils devaient se revoir bien des fois encore, à Venise, à Ravenne, à Livourne, mais plus jamais peut-être avec cette insouciance charmante et ce complet abandon. L’amitié, comme l’amour, a une fleur exquise qui n’éclot guère que dans la solitude, et qui, une fois cueillie, ne repousse pas. Revenu dans son pays et fixé à Marlow, Shelley tomba malade. Sa santé avait toujours été précaire. Il souffrait d’un mal spasmodique au cœur qui le torturait souvent et qu’il ne perdit pas. De plus, des symptômes de consomption apparurent; lui aussi dut songer à s’expatrier. Sa fortune modeste l’y engageait d’ailleurs, et ses besoins très simples lui permettaient de vivre plus à l’aise à l’étranger. Ses yeux se tournèrent donc avec désir vers l’Italie, et en 1818 il passa les Alpes avec sa famille. Il ne devait plus ni revoir sa patrie ni quitter le sol italien. De 1818 à 1822, nous le trouvons tour à tour à Livourne, à Rome et à Naples, enfin à Pise et à Lerici. Ses quatre dernières années furent les plus fécondes de sa vie. Le soleil d’Italie a un effet magique sur les hommes du Nord lorsqu’ils ont un fonds encore inexprimé. Le tempérament septentrional est très renfermé, sa passion est toute concentrée à l’intérieur. Mais au contact de cette terre de beauté, dans cet air caressant, sous ce ciel qui est presque toujours une fête de couleurs et de lumière, l’âme du Nord s’échauffe parfois, son enthousiasme jaillit au dehors et un monde de pensées cachées s’épanouit en floraison splendide au grand soleil de la vie. C’est ce qui advint à Shelley, ses chefs-d’œuvre en font foi.

Grâce à Trelawney, un ami intime de Shelley et de Byron, qui a publié ses souvenirs[1], nous pouvons jeter un coup d’œil dans la vie intime du poète à cette époque. Trelawney était un cadet de famille, beau, valeureux, grand coureur d’aventures belliqueuses ou galantes, ami des klephtes et des femmes, au demeurant parfait homme du monde, esprit brillant et observateur, ami serviable et gai compagnon. Un cercle choisi s’était formé à Pise. Byron était venu s’y établir avec sa nouvelle amie, la comtesse Guiccioli. Les Shelley, de leur côté, y faisaient ménage commun avec les Williams, leurs amis intimes. C’est là que Trelawney vit Shelley pour la première fois, et cette rencontre est assez caractéristique pour être rapportée. Il se présenta chez les Williams. La chambre, où la lumière ne pénétrait que par une porte donnant sur une pièce voisine, était presque sombre. Dans cette obscurité, Trelawney remarqua deux yeux brillans fixés sur lui. Mme Williams appela Shelley,

  1. Recollections of Byron and Shelley, by E. Y. Trelawney, London 1858.