Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

somme étaient excellentes et furent adoptées, les appuyait sur des considérations exprimées en termes bizarres : « Pierre Ier, en fondateur d’empire, dans la majesté d’un législateur, caractères qui lui ont mérité le nom de grand, regardant directement le cours de la Néva contre le torrent duquel il est placé... Regardant de l’œil droit l’amirauté, la ville sur la gauche du fleuve, les palais impériaux... Ouvrant le même œil et l’étendant sur le vaste empire qu’il a reçu de ses pères, lequel il augmente de nouvelles possessions... De l’œil gauche, regardant une autre partie de ses fondations... Portant en même temps ses regards sur la Finlande, la Carélie, l’Ingrie et autres provinces conquises, — cette position me paraît la plus favorable et préférable à toutes autres. » Je n’ai cité que les têtes de paragraphes, mais on a une idée suffisante du style de Billstein. Betski à son tour, dans un rapport au sénat, pensait que (t les idées que doit avoir l’artiste sont renfermées à peu près dans ces points : 1° La Russie est le plus grand des empires; 2° Pierre Ier est le souverain qui a le plus travaillé pour le bien de son peuple; 3° il a gagné des batailles importantes qui ont procuré la splendeur de l’empire; 4° il fut un législateur inébranlable dans les sages résolutions qu’il avait prises; 5° l’important point est qu’il se dépouilla pendant un temps de sa souveraineté pour s’instruire dans les pays étrangers de tout ce qu’un souverain a besoin d’apprendre, etc. » Certes voilà une collection d’idées qu’il n’est pas facile de rendre avec le ciseau; Betski évidemment voulait faire de cette statue une encyclopédie coulée en bronze, et son plan rappelle un peu la complication et l’excentricité touffue de certaines commandes américaines qui ont fait le désespoir des peintres contemporains. La note de Betski n’était pas faite pour donner à Falconet une conception bien nette de son sujet; d’ailleurs, une fois déjà il s’était mal trouvé d’avoir travaillé sur les idées et les plans d’un autre, et il avait encore sur le cœur son malencontreux groupe de la France embrassant le buste du roi.


IV.

Dans les premiers momens du séjour de Falconet à Saint-Pétersbourg, l’impératrice fut toute entière au plaisir d’avoir chez elle un tel homme. Falconet, ce n’était pas seulement le sculpteur chargé d’une commande, c’était pour elle un des membres de cette société parisienne dont elle convoitait les plaisirs délicats et même les brillans soupers, de ce groupe d’artistes et de lettrés sur lesquels le monde avait alors les yeux fixés. Falconet était l’artiste aimé de Mme de Pompadour, le critique fin et sévère, l’ami de D’Alembert et des encyclopédistes. Remarquons qu’en 1767 l’impératrice