Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agitation qui se fait en ce moment aux États-Unis à propos du Chinese problem. Si jamais cette question vient à menacer, comme c’est à craindre dans un avenir éloigné, l’Europe elle-même, si jamais on jette quelque 100,000 Chinois dans nos campagnes désertes ou dans les houillères de Newcastle et de Cardiff, c’est sans doute par son côté économique que ce problème se présentera tout d’abord : les travailleurs français ou anglais, après avoir exagéré leurs prétentions jusqu’à forcer les patrons à se procurer des ouvriers étrangers, essaieront en vain d’éloigner une concurrence désastreuse. Le gréviste sera cette fois dompté; mais à quel prix! Ce jour-là l’Europe sera bien près de devenir mongole.

Le Sindh se rapproche de 12 milles par heure de Pointe-de-Galles. Les journées passent rapides et douces dans le désœuvrement du bord, encouragé par la chaleur et les pesantes digestions d’un estomac rappelé quatre fois le jour à ses devoirs gastronomiques. On fume, on lit, on écoute la série d’anecdotes marseillaises que les officiers du bord, presque tous originaires des Bouches-du-Rhône, servent à chaque voyage à leurs nouveaux passagers; puis on s’étend associés par groupes assortis sur les chaises longues d’osier aux savantes cambrures, et la causerie, prenant librement son vol, en présence des horizons sans fin empourprés par le couchant, s’élève graduellement des propos rabelaisiens aux spéculations philosophiques. Quelle supériorité le paquebot, considéré comme moyen de transport, a sur tous les autres! Au lieu des déplacemens et des changemens perpétuels de trains et de voitures, vous vous installez pour plusieurs mois dans une petite chambre où vous pouvez disposer tout à souhait; vous réglez vos heures de bain, de toilette, de travail, de flânerie une fois pour toutes. Les distractions ne manquent pas : vous avez quelquefois la surprise d’un poisson volant qui entre par le sabord dans votre cabine, le loch qui, jeté d’heure en heure, vous apprend ce que vous avez gagné ou perdu de vitesse, le point qu’on affiche chaque jour après l’avoir déterminé, et que vous pouvez reporter sur votre carte, le bal que les hommes d’équipage organisent entre eux le dimanche sur le gaillard-d’avant, au son du ronflon et de l’accordéon; tout cela prend, dans la solitude de l’océan, un intérêt relatif, et les semaines passent plus vite que les jours à terre. Quelle différence surtout dans l’emploi des soirées! Il y a toujours plusieurs passagers que vous pouvez interroger avec fruit sur leurs voyages, leurs relations, leurs affaires dans ces parages ; à défaut d’un interlocuteur, la mer ne vous tient-elle pas elle-même compagnie, et son puissant murmure ne donne-t-il pas la réplique à toutes vos pensées? Comparez avec cela les soirées d’auberge, quand, las d’une