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journée de marche, vous cherchez en vain un siège confortable, et essayez de parcourir à la lueur douteuse d’une mauvaise lampe quelque vieux journal, ou de relire pour la dixième fois une page de votre guide que vous savez par cœur d’un bout à l’autre; ou quand, égaré dans quelque petite ville de province, n’ayant où frapper ni dîner après avoir erré au hasard dans des ruelles mal pavées et mal balayées, dévisagé avec soupçon par les habitans, vous prenez enfin le parti d’entrer dans quelque café où les membres du conseil municipal jouent au domino, tandis que les fortes têtes de l’endroit s’occupent dans un coin de refaire une santé à la pauvre Europe, déjà si malade des remèdes qu’on lui a fait prendre! Certes un mois de traversée dans des conditions favorables est moins pénible et paraît moins long qu’une semaine de diligence ou de chemin de fer.

Le 13, nous arrivons en vue de Pointe-de-Galles. Le pilote vient au large au-devant du steamer pour le diriger dans le chenal étroit et dangereux, où déjà plus d’un grand navire a péri sur les coraux. La rade elle-même est détestable, trop petite pour contenir les deux navires qui s’y rencontrent, semée d’écueils qui gênent les manœuvres, exposée quand la mousson est forte, à de gros temps qui rendent les opérations du chargement et du déchargement très difficiles. Les marins sont d’accord pour demander que les dépôts de charbon soient transportés à Trinquali, où l’on trouverait, en se détournant pendant quelques heures de la route, un port naturel excellent. En revanche, le tableau qui se déroule sous les yeux est un des plus enchanteurs que puisse offrir la nature tropicale. Le rivage, couvert de forêts, dessine un demi-cercle terminé à chaque extrémité par des falaises symétriques; il enserre un petit îlot qui sert de dépôt de charbon aux messageries. On voit ainsi d’un côté la ville de Pointe-de-Galles avec ses larges maisons de pierre aux toits en terrasse; de l’autre, des huttes éparses sur la plage, et tout autour du navire une myriade de ces longues pirogues à balancier, semblables à celles de Manille. A peine avons-nous jeté l’ancre, le pont est envahi par une procession de marchands qui viennent étaler leurs pacotilles et solliciter la curiosité et l’inexpérience des passagers. Grâce à quelques mots d’anglais mêlés de sabir, ils réussissent à vous faire comprendre leurs instances et les multiplient d’une manière si fatigante que, de guerre lasse, presque tout le monde consent à se faire voler un peu. Inutile de dire que ce sont toutes marchandises de rebut, faux ébène, écaille fondue, pierreries en strass de Birmingham, qu’ils vous laissent pour le centième du prix qu’ils vous ont demandé : perles fines, rubis, topazes, saphirs, diamans, œils de chat, tout cela vous