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avoir épuisé tout son charbon, de revenir à Bombay et de reprendre la route consacrée par l’expérience. Nous ne courrons pas la chance; le détour que nous allons faire nous allonge, il est vrai, de deux jours, retard sensible pour des marins qui ont à peine vingt jours de repos à Marseille entre l’arrivée et le départ, mais en essayant de couper au plus court nous risquerions d’être rejetés sur Pointe-de-Galles et de perdre une semaine. Nous descendons en conséquence au sud presque jusqu’à l’équateur, et le 17 nous nous trouvons en vue des îles Maldives. Il faut naviguer avec la plus grande précaution dans ces parages semés de coraux, qui réunissent entre eux les principaux atolls ; les terres extrêmement basses, formées de polypiers à fleur d’eau recouverts de détritus marins, puis d’humus et de végétation, sont invisibles la nuit, et la moindre erreur de route peut jeter le navire sur les récifs. En passant par le chenal d’un degré et demi, nous apercevons un steamer échoué sur la côte dont l’équipage, réfugié à terre, a hissé un pavillon blanc au haut d’un mât de signal; mais la malle ne s’arrête pas pour lui venir en aide : on sait à bord que les naufragés sont toujours recueillis et tien traités par une population singalaise, douce et vivant dans l’abondance, qui obéit à des chefs indigènes, mais reconnaît la suprématie nominale de l’Angleterre et rend un hommage annuel au gouverneur de Ceylan. Puis nous mettons le cap à l’ouest-nord-ouest pour six jours; le 23, nous reconnaissons la côte d’Afrique à la pointe de Raz-al-foun; nous doublons le cap de Guardafui et, le 24, nous sommes à Aden.


XI.

A peine le soleil perce-t-il les brumes du matin, que, devançant la chaleur insupportable du plein midi, les passagers du Sindh, désireux de toucher terre après neuf jours de mer, gagnent le rivage, où quelques maisons blanches commencent à étinceler au soleil levant. Si loin que le regard puisse aller, on n’aperçoit que des montagnes de basalte presque perpendiculaires, aux arêtes crues, tombant au bord de la mer, si près qu’il a fallu en certains endroits faire sauter le roc pour ouvrir un passage; pas un arbre, pas une touffe de verdure, pas un brin d’herbe ne vient égayer la farouche uniformité de cet entassement de rochers stériles, que domine un pic désigné par une légende populaire comme le tombeau de Caïn, Djebel Samsah, digne sépulcre en effet du premier meurtrier. C’est là, nous dit la géographie, l’Arabie-Heureuse ; que faut-il penser de l’Arabie-Pétrée? Il paraît cependant qu’en dépassant la presqu’île sur laquelle Aden est située en sentinelle perdue, en s’enfonçant dans l’intérieur, on trouve de fertiles vallées où les Arabes mènent encore