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planté un jardin assez misérable, où à force d’arrosage et de soins on a réussi à faire pousser quelques arbustes et quelques fleurs. C’est tout ce que l’on voit de verdure à Aden.

A mesure que le soleil monte, ses rayons, réfléchis par le sable blanc et les surfaces lisses de la montagne, deviennent intolérables, il faut s’enfuir et regagner le bord. A moitié chemin, entre la ville et le port, je m’arrête pour donner un coup d’œil à une agglomération de cabanes placées à quelque cent mètres sur la gauche, qui résume en elle tout ce que l’on peut imaginer de plus misérable. Qu’on se représente deux ou trois cents huttes formées de quatre pieux plantés en terre, sur lesquels est étendue une natte en guise de toit, dont les parois sont faites de nattes flottantes qu’on pousse pour entrer ou sortir et qui interceptent l’air et la lumière. Sur le seuil de ces tristes demeures s’entasse une population de vieillards, de femmes, d’enfans somals (les hommes sont occupés à travailler au port). De quoi vivent-ils? Qu’est-ce que ces alimens que je leur ai vu préparer, mêlés aux cendres d’un brasier mourant? Qu’est-ce que ces débris confus, amassés dans leurs réduits, et pour lesquels notre langue ne fournit pas de noms, vieux fragmens de nattes, tessons de poterie, brindilles de bois, épaves de la marée, quartiers de peaux de bouc, vieilles ferrailles, résidus de toute sorte, tout cela exhalant une odeur atroce, se décomposant presque à vue d’œil sous un soleil implacable, et laissant deviner à tous les sens révoltés je ne sais quels fourmillemens immondes ? Voilà en quel état lamentable vivent ces populations faites pour la vie nomade, qui en l’abandonnant n’ont pas su se former aux lois de la vie laborieuse, de la civilisation moderne, et succombent dans cette inégale « lutte pour l’existence » dont parle Darwin. J’ai vu là à mon précédent voyage un spectacle que je n’ai pu oublier. Au milieu d’une des rues, si l’on peut appeler rues les sentiers vagues de ce prétendu village, était accroupi, sur un tas d’ordures et de cendres, un pauvre enfant de deux ou trois ans, nu, chétif, maigre, tremblant la fièvre, visiblement agonisant; la mère était debout devant lui le regardant d’un air de résignation hébétée, secouant la tête par intervalles quand les commères qui allaient et venaient lui adressaient une question au passage. En voyant arriver des étrangers, un groupe se forme, on nous entoure et, nous montrant l’enfant, on nous demande du geste de le guérir. Ces pauvres gens prêtent volontiers aux blancs une puissance mystérieuse et une influence bienfaisante sur les malades. Mon compagnon était un jeune médecin de la marine; il tâte le pouls de l’enfant, l’ausculte, et constate qu’il n’a pas longtemps à vivre; mais ses gestes ont été pris pour quelque incantation, et voici