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se lèvent, ombre sur ombre, s’obscurcissant l’une l’autre? (A voix basse.) Puissante mort! Ombre au double visage! Seul juge! Le plus juste des arbitres! (Elle reste absorbée dans sa pensée, puis soudain s’avance vers Orsino, qui vient d’entrer.) Es-tu mon ami, Orsino, faux ou vrai? Engage-toi sur ton salut, avant que je parle.

« ORSINO. — Je jure de dédier mon pouvoir et ma force, mon silence et tout ce qui m’appartient à tes ordres.

« LUCREZIA. — Vous pensez que nous devons méditer sa mort?

« BÉATRICE. — Et faire ce que nous aurons médité, et cela subitement. Soyons rapides et hardis.

« ORSINO. — Et très prudens.

« LUCREZIA. — Car les lois jalouses nous puniraient de mort et d’infamie pour avoir fait ce qu’elles-mêmes auraient dû faire.

« BÉATRICE. — Aussi prudens que vous voudrez, mais prompts avant tout. Orsino, quels sont les moyens? »


On décide que Cenci sera tué dans son castel de Pétrella, où il veut mener sa famille; Orsino fournit les meurtriers. Béatrice n’est pas moins inébranlable au moment de l’action que dans la conception du meurtre qui doit la délivrer de son tyran. La colombe s’est changée en lionne.


« BÉATRICE. — Tout est-il fini?

« OLIMPIO. — Nous n’avons pas osé tuer un vieillard dans son sommeil. Ses cheveux, rares et gris, son front ridé, ses mains croisées sur sa poitrine m’ont paralysé. Vrai, je ne puis le faire.

«BÉATRICE. — Misérables esclaves! Comment, vous n’avez pas le courage de tuer un homme endormi et vous avez l’audace de revenir sans avoir rien fait? Vils sicaires à gage, couards et traîtres! Ne parlez pas de votre conscience, que vous vendez chaque jour pour l’or et la vengeance; elle s’est tue sur mille actions dont une seule déshonore un homme, et quand il s’agit d’un châtiment où la pitié est une insulte au ciel... Mais pourquoi parler? (Arrachant un poignard à l’un des meurtriers.) Si Ce fer avait une langue pour dire : « Elle a tué son père! » il faut que je le fasse! — Mais ne croyez pas que vous lui survivrez longtemps!

« OLIMPIO. — Arrête, pour l’amour de Dieu !

« MARZIO. — J’y retourne et je vais le tuer.

« OLIMPIO. — Donne-moi le poignard ; nous devons faire ta volonté.

«BÉATRICE. — Prends! pars! reviens! (Olimpio et Marzio sortent. — A lucrezia.) Comme tu es pâle ! Ne pas faire ce que nous faisons serait un crime mortel. »


Cenci mort, Béatrice devient d’un calme parfait. L’arrivée de Savella, légat du pape, qui vient faire une enquête, ne la trouble même pas. Elle dit à sa belle-mère : «La chose est faite ; ce qui