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perdu toute force créatrice, ce n’est pas un rôle indigne de la poésie d’évoquer en ses heures de recueillement les grands symboles dont l’ensemble forme le temple même de l’humanité, et de concourir ainsi à sa transformation religieuse. De grandes luttes se préparent pour les temps prochains, dans le domaine de la réalité comme dans celui de l’intelligence. La lutte n’est plus aujourd’hui, comme il y a une trentaine d’années, entre le déisme et le panthéisme; elle est entre l’idéalisme et le matérialisme, entre ceux qui reconnaissent dans le monde un principe divin, pour l’homme une vérité transcendante, pour l’humanité un but suprême, et ceux qui ne voient dans les choses qu’une combinaison hasardeuse de molécules, dans l’homme qu’un animal intelligent et dans l’humanité qu’une matière à expériences chimiques. Le parti que prendra la vraie poésie dans ce combat ne saurait être douteux; ce parti est celui de Shelley, celui de l’idéal. Il est vrai que la science de ces derniers temps fait mine de pouvoir se substituer à la fois au sentiment religieux et à l’art, de s’emparer à elle seule de leur rôle dans les destinées futures du genre humain en inaugurant un âge purement scientifique. C’est là une vaine prétention ; elle ne prouve chez ceux qui l’affichent qu’une ignorance profonde des besoins de l’âme humaine et des facultés de l’esprit humain. Jamais il ne se contentera de l’alignement des faits, car il voit qu’en eux-mêmes ils ne sont rien et qu’il y a quelque chose au-delà.

Les symboles religieux et poétiques, c’est-à-dire les personnifications vivantes des plus grandes pensées et des plus profonds sentimens qui animent l’humanité ont été dès les temps immémoriaux le privilège de la race aryenne. Ils furent pour elle à la fois l’expression de ce qu’elle possède de meilleur en soi et de ce qu’elle entrevoit de plus parfait au-delà d’elle-même. Par la puissante divination qu’ils supposent, ils sont en un sens supérieurs à la science et marchent de pair avec la plus haute philosophie. L’humanité en a besoin comme d’une sorte de vision et d’hallucination sublime pour avancer sur sa route et se reconnaître sur celle du passé dans son aspiration infatigable. La science, l’art et le sentiment religieux sont donc inséparables dans l’harmonie supérieure des choses et de l’esprit humain. Supprimer l’une de ces forces ce serait rompre son équilibre et tronquer l’humanité, car ces trois puissances lui sont également nécessaires, et ce n’est que des trois rayons concentrés du vrai, du juste et du beau que jaillit le divin.


EDOUARD SCHURE.