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ciel si pur; elle consent à m’introduire et, passant devant moi, me recommande de marcher avec précaution. En effet, le chemin est obscur, obstrué de gravats ; nous avançons par une série de couloirs étroits et d’escaliers en colimaçon dont les marches manquent souvent : la violence du feu a fait craquer toutes les pierres. Ici est le premier étage : les voûtes se sont effondrées pour la plupart, les portes ouvrent sur le vide. Tout d’abord, sur un des côtés d’une cour intérieure, je remarque une double rangée d’arcades superposées, aux trèfles précieux découpés à jour, aux colonnettes pareilles à des fuseaux, si sveltes, si élancées que le moindre coup de vent, semble-t-il, va les faire crouler; plus loin, contre les parois d’une salle d’honneur, quelques parties de l’ancien revêtement de stuc, couvert de fines arabesques. A mesure qu’on s’élève, le chemin devient plus périlleux : les escaliers tournent et s’allongent aux flancs des hautes tours creuses, vides du haut en bas; un moment de vertige, un faux pas, vous précipiterait dans l’abîme. J’atteins ainsi un petit réduit appelé fort improprement « le boudoir de la reine. » Arrivé là, je m’arrête; pour aller plus loin il me faudrait l’agilité et l’habitude des petits garçons du pays, qui, courant nu-pieds sur la crête des murs branlans, vont au sommet des dernières ruines dénicher les oiseaux. Voici la tour des Quatre-Vents couronnée d’arcades, dont chaque baie regarde un point de l’horizon; puis la tour de l’Horloge, cette fameuse horloge qu’un mécanicien était occupé à remonter jour et nuit; à côté el pozo, le puits citerne, aujourd’hui à sec, au-dessus duquel je me penche en passant : c’est une tour également, aussi haute, aussi vaste que les autres, mais sans étages et sans jours, béante au ciel ; dans cet immense réservoir, admirablement cimenté, l’eau de pluie s’amassait en quantité suffisante pour que jamais, même en cas de siège, la population de la ville et la garnison du château n’eussent à souffrir de la soif. Je sors de là, au bout de deux heures, ébloui, comme halluciné.

L’antique basilique de Santa-Maria attient au château et, même après lui, mérite une visite. Pour l’élégance et la profusion des ornemens le portail n’a point qui l’égale. Ce qui m’y plaît surtout, c’est le précieux motif de sculpture : un long entrelacement de branches de vigne qui, partant des jambages de la porte à hauteur d’appui, entoure et dessine l’ogive. Les rameaux noueux où l’on croit voir circuler la sève, les feuilles dentelées, découpées comme à l’emporte-pièce, les vrilles capricieuses grimpent, s’enroulent, s’élancent et se détachent du mur avec une vigueur, une exubérance de vie admirable; l’artiste aura pris pour modèle cette vigne miraculeuse dont parle la Bible et dont une seule grappe de raisin faisait plier deux hommes sous le faix. Grâce à la nature de la pierre fort dure, l’œuvre est intacte dans ses moindres détails ; il