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mal nos ennemis ; ils veulent faire de vous et de mon mari ce que les Parisiens font des châsses de saint Marceau et de sainte Geneviève, lesquelles ils ne permettent jamais approcher trop près l’une de l’autre, de peur que le parentage les fasse s’embrasser tellement qu’on ne les puisse ensuite séparer[1]. »

Les Guise, tout-puissans depuis la bataille de Dreux, ne voulaient point la paix. Coligny était devenu le général en chef des protestans. Il avait confié à la princesse de Condé et à D’Andelot la garde du connétable et s’était jeté en Normandie. Du fond de sa prison, Condé, qui n’était jamais si hautain que dans l’adversité, poussait encore les siens à la lutte. « Il semble, écrivait l’ambassadeur d’Espagne, Perrenot de Chantonnay, que le prince de Condé n’est prisonnier, puisqu’il tient les autres en captivité[2]. » Condé tenta de s’évader, mais n’y put réussir. Le duc de Guise marchait sur Orléans ; il écrivait de son camp à la reine-mère, qui rattachait sans cesse le fil de négociations sans cesse rompues, qu’il « la priait ne trouver mauvais s’il tuait tout dans Orléans, jusqu’aux chiens et aux rats, et s’il faisait détruire la ville jusqu’à y semer du sel[3]. » Le canon tonnait déjà dans la ville, qu’Éléonore de Roye envoyait encore des messagers à la reine-mère. M. Delaborde cite cinq lettres écrites coup sur coup à ce moment par la princesse à la reine. Celle-ci attendait les événemens avec le même calme qu’elle avait montré pendant la bataille de Dreux, prête à faire la paix et à savourer la colère des Guise, jouissant de la « belle peur» des gens d’Orléans, et résignée à tout ce qui arriverait, si le duc de Guise prenait la ville.

Déjà le duc annonçait à Catherine la prise d’Orléans dans les 24 heures, « la suppliant luy pardonner si, contre son naturel, qui n’estait d’user de cruauté, comme elle avait pu cognoistre en la reddition de Bourges et en la prinse de Rouen, il ne pardonnait dans Orléans ni à sexe, ni âge, et mettait la ville en telle ruine qu’il en ferait perdre la mémoire, après y avoir fait toutesfois son caresme prenant[4].» Le 18 février 1563, le duc de Guise était mortellement blessé par Poltrot; tout prenait une face nouvelle. L’étoile des Guise s’éteignait après avoir jeté son plus brillant éclat; et, par une sorte d’ironie, le destin choisissait pour arbitres du sort de la France les deux prisonniers de Dreux, le connétable et Condé. Les conférences qui s’ouvrirent dans une île de la Loire, près d’Orléans, furent promptement suivies de l’édit et de la paix d’Amboise.

  1. La Popelinière.
  2. Mémoires de Condé.
  3. De Bèze.
  4. De Bèze.