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Cette paix, qui était l’œuvre de Condé, n’était pas faite pourtant pour satisfaire entièrement sa femme. Elle venait de traverser les épreuves de la guerre auprès de Théodore de Bèze : la paix avait été « bâclée. » Le roi n’accordait le libre exercice de la religion « qu’en les maisons de tous les seigneurs tenant fief de haubert et de tous les gentilshommes tenant fief. » Les religionnaires n’obtenaient qu’une chapelle dans les faubourgs des villes, et une seulement par bailliage. On avait bien appelé Coligny, qui tenait la Normandie, mais tout avait été signé avant son arrivée), et il ne dissimula pas son mécontentement en apprenant les termes de l’édit. « Les ministres, écrit l’historien des princes de Condé, connaissant les faiblesses et « l’amoureuse complexion » de Condé, l’accusaient d’avoir cédé aux séductions de la cour de Catherine et d’avoir « haléné » (d’Aubigné) ses filles d’honneur. » Il y eut une discussion fort vive entre Coligny et le prince. « On a fait plus de tort aux églises, dit l’amiral, par un coup de plume, que les ennemis n’en eussent pu faire en dix ans de guerre ; les villes ont été sacrifiées aux nobles, et cependant ce sont les pauvres qui ont montré le chemin aux riches; ceux-ci ne songeaient qu’à piller et à s’enrichir, et ne parlaient que de s’en retourner quand les choses ne tournaient pas à leur fantaisie[1]. »

Le 28 mars, les huguenots célébrèrent une cène générale à Orléans, et Théodore de Bèze leur rappela qu’un an avant la plupart d’entre eux avaient reçu le sacrement à Meaux, quand on s’assemblait pour la défense de la religion. Le même soir, la princesse de Condé recevait chez elle Coligny, D’Andelot, La Rochefoucauld et l’ambassadeur d’Angleterre, qui ne parut préoccupé que du sort ultérieur du Havre et de Calais. La reine-mère fit son entrée solennelle à Orléans, le 1er avril, avec le prince de Condé, le connétable, Coligny, le duc de Montpensier. Elle avait très habilement flatté Condé pendant les négociations; elle avait caressé son ambition, son patriotisme, son impatience des ministres. Pendant que Coligny quittait Orléans et reprenait le chemin de Châtillon avec sa famille, Condé restait à la cour; il siégeait au conseil, il aspirait à diriger, sous le nom de la reine-mère, toutes les affaires du royaume. On ne voit point que Condé ait trahi, dans la plus petite mesure, les intérêts de ses coreligionnaires, et les soupçons dont il était devenu l’objet parmi les plus fanatiques paraissent complètement injustes. Calvin lui-même lui écrivait : « Monseigneur, touchant les conditions de la paix, je sais bien qu’il ne vous estait pas facile de les obtenir telles que vous eussiez voulu. Parquoy, si

  1. De Bèze.