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présenter des étudians de toutes les contrées de l’Europe. Demandons donc à l’état de former, non pas seulement à Paris, mais sur divers points du territoire, de grands établissemens d’instruction, que les écoles spéciales, avec leur base trop étroite et leur accès trop difficile, ne pourront jamais remplacer. On a lu en ces dernières années dans les journaux le récit des fêtes qu’à l’occasion de l’anniversaire séculaire de leur fondation ont tour à tour célébrées Prague, Vienne, Munich, Leyde : les députés des universités étrangères y étaient convoqués ; les villes, les provinces s’y faisaient représenter par leurs premiers magistrats. Toute l’Europe saluait de sa sympathie les vénérables et toujours actives centenaires. Quand reverrons-nous en France pareilles solennités ? Ces grands corps, qui prennent pour recteurs des hommes d’état, qui honorent les personnages les plus éminens en leur envoyant des diplômes, que le gouvernement consulte sur les questions difficiles et qui ont leur représentation officielle au parlement, sont devenus pour nous presqu’une légende ; mais, sans aller si loin, sous la forme appropriée à notre société moderne, nous pouvons constituer des universités qui soient, sur notre sol favorisé du ciel en tant de manières, cher à tous ceux qui l’ont assez vu pour le bien connaître, d’heureux et féconds ateliers de travail. Il ne faut pas moins le désirer pour notre relèvement intérieur. Autrefois la France avait une aristocratie qui, malgré ses défauts, a passé pour la plus éclairée de l’Europe : elle formait son jugement par les voyages lointains, par les hauts emplois dans la diplomatie, dans la marine, dans les colonies. La cour, à cause des grands et multiples intérêts qui y venaient converger, fournissait aussi, pour qui en savait profiter, d’admirables occasions d’apprendre. Aujourd’hui nos classes élevées et moyennes se contentent trop des notions acquises au collège, et, si elles n’ont pas toute l’influence qu’elles ambitionnent, cela tient en partie sans doute à ce qu’elles ne justifient plus assez leurs prétentions par la supériorité de la raison et du savoir. Nous abandonnons les études générales au moment où elles commenceraient à être fructueuses. Laissons nos futurs citoyens chercher ce qui est juste et vrai parmi la diversité d’opinions qui régnera nécessairement dans ce milieu vivant et actif. Il n’est pas de meilleur préservatif contre nos passe-temps futiles. Ranimer la haute vie intellectuelle sur les points où elle menaçait de s’éteindre, il ne se peut concevoir une plus belle tâche pour un ministre et pour un gouvernement.


MICHEL BREAL.