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avec bonté et le défend contre l’intolérance, et l’injustice de ses adversaires ; le duc de Choiseul l’emploie, et le protège ; le roi de Pologne, le dauphin, Mesdames, lui donnent maintes preuves de leur estime ; la reine enfin, Marie Leczinska, jette un moment les yeux sur Fréron pour en faire son secrétaire des commandemens. Entre cet homme-là, que nous voyons passer fier et le sourire aux livres dans les galeries du palais de Versailles, — et la risible marionnette, taillée à coups de serpe, qui se démène et gesticule sur le théâtre au milieu d’une troupe d’autres fantoccini, — le contraste est trop grand, et toute illusion dramatique s’évanouit devant tant d’invraisemblance. Palissot, la même année, avait donné l’exemple de ces tristes personnalités en mettant sur la scène, dans sa comédie des Philosophes, Diderot, D’Alembert et Jean-Jacques Rousseau, Mais Palissot a écrit une bonne pièce, quoiqu’un peu froide, pleine de vers bien venus, légers et spirituels. L’Écossaise, que Voltaire se vante d’avoir « barbouillée en moins de huit jours, » n’est qu’une pochade dans le genre anglais. Si l’on excepte Fabrice, le maître du café, et Polly, la suivante de Lindane, tous les autres personnages sont dignes des tréteaux de la foire.

Je conçois ; que Fréron, qui avait le courage de son état, n’ait pas craint de venir à la première représentation de l’Écossaise. Ce n’est certes point à son déshonneur qu’il assista ce jour-là. Un plus grand que lui venait de s’abaisser, de descendre à la platitude des farces du boulevard. On dit que Fréron s’amusa fort, encore qu’il fût outré dans le fond ; mais, la pièce finie, il fallait la juger. Fréron était en verve ; il fit œuvre de maître ouvrier. La copie terminée fut envoyée au censeur ; on la renvoya au critique couverte de ratures, et l’on sait sur quelles parties portent d’ordinaire les corrections des censeurs. Fréron passa par une de ces crises qu’ont traversées presque tous ceux qui font métier d’écrire pour le public. Il fut indigné, hors de lui ; à son tour il demanda justice, écrivit lettres sur lettres à Malesherbes.

« C’est bien la moindre des choses, disait Fréron, que je réponde par une gaieté à cet homme qui m’appelle fripon, coquin, impudent… J’ai recours à votre équité, monsieur ; on imprime tous les jours à Paris cent horreurs ; je me flatte que vous voudrez bien me permettre un badinage, Le travail de mon Année littéraire ne me permet pas de faire de petites brochures détachées ; mon ouvrage m’occupe tout entier… Mes feuilles sont mon théâtre, mon champ de bataille ; c’est là où j’attends mes ennemis et où je dois repousser leurs coups…

« Quoi ! il sera permis à ce malheureux Voltaire de vomir la calomnie, il sera permis à cet infâme abbé de La Porte de me déchirer dans ses feuilles, il sera permis à ce tartuffe de Diderot, à ce