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professant aucune opinion, ne s’attachant qu’à fournir des faits exacts et laissant ses lecteurs dégager eux-mêmes leurs impressions et tirer leurs conclusions. Le succès éclatant du Herald prouve qu’aux États-Unis tout au moins la réussite est possible dans ces conditions, et qu’un journal peut vivre et prospérer sans lier son existence à celle d’un parti politique quelconque.

Une étude analogue sur la presse politique nous mènerait trop loin. Bornons-nous à constater qu’à côté du Herald vivent et prospèrent également, bien qu’à un moindre degré, nombre de journaux appartenant à cette catégorie. Parmi les plus célèbres, nous citerons le New-York Tribune, fondé en 1841 et dirigé pendant trente et un ans avec un incontestable talent par Horace Greeley, qui disputa en 1872 la présidence des États-Unis au général Grant, et n’échoua que de quelques voix. Le New-York Times, édité par Henry J. Raymond, le Ledger, fondé par Banner, le World, occupent dans la presse américaine le second rang.

Nous avons sous les yeux le relevé statistique de la presse aux États-Unis en 1870 ; nous en extraierons quelques chiffres qui ont leur éloquence. À cette date, il se publiait 5,871 feuilles, comptant 20,842,475 abonnés. Le tirage annuel de tous ces journaux réunis dépassait 1 milliard 1/2 d’exemplaires, pour une population de 38,555,000. Si nous comparons maintenant la presse des États-Unis à celle des autres pays, nous arrivons aux résultats suivans : en 1870, l’Angleterre comptait 1456 journaux, la France environ 1,700, la Prusse 809, l’Autriche 650, la Russie 337, l’Italie 723. Un calcul approximatif portant sur le monde entier donne un total, moins les États-Unis, de 7,642 journaux et publications périodiques de toute nature. Si l’on rapproche ce total de celui des États-Unis, on se rendra compte de l’immense développement de la presse chez ce peuple, qui vient de célébrer le premier anniversaire séculaire de son indépendance. C’est en parlant de cette presse que William Thackeray écrivait : « Voyez-la, elle ne repose jamais, ses ambassadeurs parcourent le monde entier, ses messagers sillonnent toutes les routes, ses correspondans marchent à la suite des armées, ses courriers attendent dans l’antichambre des ministres ; elle est partout. Un de ses agens intrigue à Madrid, un autre relève la cote de la Bourse de Londres. La presse est reine. Gardienne des libertés publiques, son sort est lié au leur ; elles vivront ou périront ensemble. »


C. DE VARIGNY.