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sourd m’avait éveillé et que les moines frappent à certaines heures, avec des baguettes ou une batte. A l’intérieur, l’église, richement ornée, mais sans goût, est couverte d’images et d’offrandes précieuses de toute sorte ; de petites niches où logent des saints de bois grossièrement sculptés sont percées le long des murs.

En sortant, le grammateus engagea conversation avec deux fous qui rentraient du bois dans les bûchers ; l’un était un ancien avocat, l’autre un paysan inoffensif qui payait pension pour être assez maltraité par les moines. L’avocat s’était pris à Taxiarque d’une passion pour l’horticulture ; il vint avec nous dans le jardin, où il se mit à couper de longues tiges de jasmin qu’il perça pour en faire des tuyaux de pipe et me faire honneur en me les offrant. Le grammateus, qui savait fort bien ce que faisait notre compagnon en récoltant sans façon dans la propriété d’autrui le produit le plus apprécié, se contenta de me dire avec un sourire de satisfaction mal dissimulée : — Ne les prenez pas au moins, les moines ne veulent pas qu’on coupe leurs jasmins. — Mais ils sont coupés, repris-je.

— Ce n’est pas nous, c’est celui-ci, et il me montrait le pauvre fou qui s’en allait tout triste de notre refus, emportant ses tuyaux. — Mais s’il rentre avec ses tuyaux dans le couvent, ils vont le battre !

— Je le crois, dit simplement le grammateus, — Je rappelai le malheureux et je pris les jasmins. — Nous ne pouvons pas nous montrer avec cela, s’écria-t-il quand le fou fut parti, on croirait que c’est moi qui les ai coupés ; ce serait une mauvaise affaire ;… mais, attendez, — et souriant à mes scrupules, il alla sans hésitation replanter au milieu des buissons le corps du délit. —Venez, maintenant, dit-il.

Mon grammateus perdait ainsi dans cette malheureuse promenade une partie de son prestige. La pensée de ma complicité involontaire me fit craindre de prolonger mon séjour à Taxiarque, et je partis le lendemain matin. Aucun moine ne voulut rien accepter en échange de l’hospitalité qu’on m’avait largement offerte ; chacun me fit ses adieux, et je m’éloignai dans la direction du couvent de femmes, Pépélénitza, que j’avais entrepris de visiter.

II

Je dus revenir sur mes pas et suivre d’abord sur la rive droite du torrent le chemin que l’on prend pour arriver à Taxiarque. Le pont une fois traversé, je changeai de route, remontant vers le sud-ouest, pour me diriger de mon mieux à travers des montagnes et des bois que je ne connaissais pas, cherchant un monastère que j’avais à peine vu de loin.

Tout en cheminant, je songeais au moyen de mener à bien mon