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encore dispensées comme un chapelet dénoué le long du chemin, les unes avançant lentement, les autres s’arrêtant essoufflées au milieu d’une pente trop rude.

Les propriétaires assez riches pour se reposer se mirent à leurs portes pour les voir passer ou pour les recevoir, et je regardais successivement ces ouvrières dociles, prenant des chemins différens, se diriger par groupes de quatre ou cinq femmes vers les maisons où elles étaient attendues et où elles devaient rendre compte du travail de la journée. Chacune, en passant sous la porte, laissait glisser son sac et le rentrait devant la calogria jusqu’à ce que les retardataires, arrivées à leur tous, fussent rentrées. au logis. Alors tout se referma, le silence se rétablit, et le village offrait sous les teintes roses du crépuscule le même aspect triste qu’il présentait en plein midi.

Panaïoti m’apprit que ces malheureuses payaient ainsi par leur travail le droit de vivre sous un toit qui n’était pas le leur, et que chaque calogria aisée logeait d’ordinaire cinq de ses compagnes, qu’elle employait à la fois aux soins de son intérieur et à la culture de ses terres. C’est à cette coutume, plus encore qu’à ce besoin d’oppression et de vexations si naturel entre les femmes, qu’il faut attribuer le caractère aristocratique de la petite société de Pépélénitza. Avoir une maison, des terres, de l’argent à soi, n’étant là que le privilège d’un petit nombre, celles qui sont ainsi favorisées forment tacitement une classe distincte dans le couvent, un parti dont tous les membres se jalousent et se haïssent, mais qui, se sentant : fort et nécessaire, use et abuse de son autorité envers le parti le plus faible. C’est une oligarchie composée de despotes également puissans, qui ont toutefois l’esprit de s’entendre pour conserver entre leurs mains tout le pouvoir. Le gouvernement de Taxiarque était bien différent à ce point de vue : chacun y vit pour soi, mais respecte en même temps l’indépendance d’autrui.

Panaïoti m’avait donné son lit ; il voulut, malgré mes prières, passer la nuit par terre, couché à côté de ses filles. A peine éveillé, je parlai de partir pour ne pas lui rester plus longtemps à charge, mais il m’engagea à venir avec lui à la messe du matin, qu’il disait environ une heure avant le lever du soleil.

Nous sortîmes ensemble, traversant ce petit village où les maisons noires étaient encore confondues dans la brume. Une pluie d’été faisait entre les maisons de véritables lacs ; pas une lumière n’apparaissait aux fenêtres, pas une voix ne faisait deviner que les calogriai étaient éveillées. Nous trouvâmes l’église bien éclairée à la lueur de quelques lampes de cuivre à cinq becs, et des cierges de résine qui brûlaient autour du crucifix. Toutes les religieuses