Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doter le théâtre français d’un genre dramatique analogue à la comédie d’imbroglio que les Espagnols ont si bien nommée de cape et d’épée pour indiquer qu’elle doit consister en deux choses, le cache-cache et la pétulance d’action, c’était M. Victorien Sardou. Qui sait mieux que lui embrouiller l’écheveau d’une intrigue, qui possède mieux que lui l’art des surprises, qui sait mieux jouer avec l’équivoque, prolonger un malentendu, faire soupçonner un secret là où il n’y en a pas donner à une fausse interprétation l’apparence de la vérité, rendre à une énigme son obscurité au moment où elle va être découverte, renouveler un doute au moment où on le croit prêt de se dissiper, ouvrir une fenêtre ou fermer une porte à propos, et, pour tout résumer d’un mot, qui connaît plus profondément tout ce que l’incertitude renferme d’élémens dramatiques, de folles anxiétés, de comiques terreurs ou de cruelles lubies ? C’est avec ces qualités seules qu’il s’est présenté à l’origine devant le public ; point n’est besoin de rappeler ces amusantes comédies pleines de turbulence et de gai tapage par lesquelles il débuta dans la carrière dramatique. Eût-il persisté dans ce genre, qui était le sien propre, il aurait produit des œuvres moins retentissantes peut-être que celles qu’il a fait applaudir, mais à coup sûr plus tranchées, plus nettes et plus fines ; il a préféré s’en éloigner, et nous ne saurions dire qu’il ait eu tort pour son succès et sa fortune. Ce qui est certain, c’est qu’il n’est jamais plus heureusement inspiré que lorsqu’il y revient ; je n’en veux pour preuve que sa comédie d’Andréa, qui date des dernières années et qui est à mon avis une œuvre charmante, et celle peut-être où ce qui était son originalité propre apparaît le mieux purifié de tout alliage et mélange. Il n’a point renoncé cependant à ces qualités, seulement il les a détournées de leur fin et les a réduites à l’état de moyens. C’est grâce à elles qu’il a pu réaliser cet éclectisme dramatique où il a réussi à fondre des genres si divers. Sa vivacité lui a fourni les moyens de multiplier les incidens capables de conduire une intrigue de l’état d’honnête comédie à l’état de drame orageux, sa subtilité à faire tenir ce drame en si délicat équilibre qu’il puisse donner toutes les émotions du désespoir ou de l’anxiété sans les justifier en fait, et son adresse à faire glisser une situation d’Alexandre Dumas fils dans un dénoûment de Scribe.

Pour si habilement qu’il soit obtenu, cet éclectisme n’est pas sans faiblesse. Le grand défaut des pièces de victorien Sardou, c’est qu’elles sont toujours construites en vue d’amener une scène capitale, avant laquelle le drame n’est pas, et après laquelle il n’est plus. L’exposition est d’ordinaire excellente, et la mise en train de l’action bien lancée ; mais une fois lancée, le développement simple et naturel en est empêché par cette fatale scène