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l’irrésolution n’inspire ni crainte, ni respect, et c’est un triste marché que de renoncer à être respectable, quand on n’est pas en état de se faire craindre.

Ce fut en 1805 surtout que la politique prussienne poussa ses contradictions jusqu’au scandale. Le roi entrait dans de violentes colères à la seule pensée qu’on pût lui demander de se joindre à la troisième coalition. « Plus la tempête approchait, plus il éprouvait le besoin de ne rien faire. » Il appréhendait les sollicitations de la Russie, il avait résolu de ne point se rendre à l’entrevue que l’empereur Alexandre lui avait proposée, et qu’il n’avait pas osé refuser. Le 3 octobre, Hardenberg reçut un billet et une nouvelle qui le jetèrent dans une étrange surprise ; le conseiller de cabinet Beyme lui manda que le roi souffrait depuis quatre semaines d’un mal de pied fort douloureux, qui, par intervalles, l’empêchait de marcher. Il comprit sur-le-champ ce que cela voulait dire, que c’était « un prétexte préparé pour ne pas aller à l’entrevue. » Il représenta au roi qu’il risquait de s’aliéner à jamais l’affection de l’empereur Alexandre, que personne ne prendrait au sérieux son mal de pied ; il se heurta contre une opiniâtre résistance. Tout à coup survint un incident. Une des colonnes françaises qui traversaient l’Allemagne du midi à grandes journées, pour tomber sur le flanc de l’armée autrichienne se permit de violer le territoire de la principauté d’Ansbach, laquelle faisait partie des possessions prussiennes en Franconie. Le roi s’en indigna ; ses impressions étaient vives, et, dans le premier moment, il aurait voulu que Hardenberg donnât sur l’heure aux envoyés français l’ordre de quitter Berlin. De ce jour, il se décida à entrer dans la coalition ; mais, le naturel reprenant le dessus, il tâcha de gagner du temps, et, par son ordre, ses ministres, comme le dit Hardenberg, durent « épuiser toutes les cascades de la diplomatie. » Dans le mémoire préparé par Lombard pour servir de canevas au roi dans ses entretiens avec l’empereur Alexandre, on déclare « que la Prusse n’a jamais méconnu ni les atteintes portées par la France à la foi des traités, ni le droit qu’avaient les puissances d’en faire justice les armes à la main, que dans ce temps le mal n’était pas encore parvenu à ce comble où l’examen est un mal de plus, que tout a changé, que l’examen est devenu inutile, que la Prusse se flatterait en vain d’un autre avenir que celui de tant d’états successivement envahis ou blessés, que son honneur au surplus réclame une satisfaction éclatante, qu’elle sent trop désormais l’insuffisance des demi-mesures, qu’elle consacre à la défense de la cause commune 180,000 hommes et au-delà, s’il le faut, mais qu’elle doit être conséquente jusque dans l’emploi de ces moyens, et constater par le mode de sa coopération la fermeté de ses principes, et que c’est seulement comme médiateur armé que le roi entrera d’abord en scène. » — « La fermeté des principes, s’écrie à ce propos Hardenberg, c’était l’opiniâtreté dans le système de tergiversation et de