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plia sa missive de la même manière et la cacheta tout autant, c’est-à-dire tout aussi peu. An reste, les formules amicales ne manquaient pas dans ce singulier cartel ; il y avait bien à la première ligne mon cher Bulwer en échange de my dear Bresson, et à la dernière mille amitiés en échange de ever yours. Ainsi s’ouvrit ce mémorable duel qui ne dura pas moins de deux ans et demi.

M. le comte Bresson était un homme de rare intelligence ; il voyait très vite et très loin. Avec ce merveilleux coup d’œil, il avait plus de vigueur que de mesure, plus de hardiesse que de méthode. Avant d’être envoyé à Madrid, il avait rempli des missions diplomatiques très importantes, à Bruxelles d’abord, ensuite à Berlin. À peine arrivé à son poste, il fut bientôt au courant de toutes les affaires de l’Espagne, du jeu des partis, du rôle des chefs, surtout des intrigues sans nombre auxquelles donnait lieu la grosse question du futur mariage de la reine. La reine-mère, Marie-Christine, n’était pas immédiatement revenue à Madrid après la chute d’Espartero ; M. Bresson contribua pour une grande part à son retour, s’insinua dans ses bonnes grâces, obtint sa confiance, et, sans se mêler de la politique intérieure sur un sol si agité, au milieu de partis si animés et si jaloux, profita de son influence pour connaître à fond tout ce qui intéressait la France. Dévoué à la monarchie de Louis-Philippe et à la politique de M. Guizot, il portait dans toutes les affaires dont il était chargé un patriotisme ardent, avec des inspirations qui lui étaient propres. Un des Bourbons de Naples, le comte de Trapani, frère cadet du comte d’Aquila, était alors le prétendant sur lequel l’Angleterre et la France semblaient d’accord pour en faire le mari de la reine Isabelle. Seulement le comte de Trapani avait contre lui toute l’Espagne ; modérés et progressistes le repoussaient également. M. Bresson, dès les premiers jours, ne se fit aucune illusion à cet égard, et tandis que M. Guizot, plus ou moins aidé par lord Aberdeen, voulait poursuivre sur ce point les négociations commencées, lui, de son regard prompt et sûr, apercevait dans un avenir prochain une situation toute différente. Il voyait le comte de Trapani exclu par l’antipathie espagnole, les fils de don Carlos exclus par des raisons politiques, les fils de l’infant don François de Paule, c’est-à-dire le duc de Cadix et le duc de Séville, exclus aussi tous deux, le premier par son insignifiance, le second par sa réputation détestable et ses accointances perpétuelles avec les radicaux ; que resterait-il alors, tous les Bourbons d’Espagne et d’Italie se trouvant écartés ? Un Bourbon de France ou un prince d’une autre race, un fils de Louis-Philippe ou le prince Léopold de Saxe-Cobourg.

Pressé par cette vision qui l’obsède, il se fait aussitôt son système et adresse à M. Guizot un langage d’une hardiesse inouïe. La forme est respectueuse, le dévoûment incontestable ; le fond est