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hostile est venue du prince Albert, c’est le prince Albert qui s’est cru atteint dans le fond et dans la forme, comme prince de Cobourg et comme premier sujet de la reine. Tout cela est bien équivoque ; il est clair que le prince n’aurait pas pris la chose avec une telle violence s’il avait sacrifié aussi complètement qu’il le dit la candidature de son cousin.

Quoi qu’il en soit, l’irritation ne fit que s’accroître dans l’entourage de la reine. Stockmar ajoute pourtant qu’il ne croit pas à une rupture pouvant amener la guerre ; mais comme il faut que le prince se domine ! comme la reine a besoin de patience et de longanimité ! "Le prince est calme, écrit Stockmar, et certainement il ne se laissera pas entraîner à satisfaire ses ressentimens aux dépens de la vrais et grande politique de la paix." Et qu’est-ce donc qui aurait pu le pousser à de telles idées de vengeance, une fois le premier mouvement de colère réprimé ? C’est répond Stockmar, la justification même du gouvernement français, laquelle se résumait en ces termes : "Si nous n’avons pas tenu nos promesses, c’est que vous-même avez dégagé notre parole en manquant à la vôtre." Sur quoi Stockmar s’écrit en levant les mains au ciel : "Il faudrait être un saint pour ne pas perdre patience devant une pareille attitude !"

Stockmar, si passionné qu’il soit contre la France, n’est ni un hypocrite ni un brouillon ; c’est un caractère honnête et respectable. Il ne fait que répéter ici les appréciations de ses augustes hôtes. On voit donc par ses paroles quels malentendus ont divisé alors la cour d’Angleterre et la cour de France. À côté des dissentimens inévitables, il y a les erreurs de fait et les méprises. La reine Victoria, du sein des sphères supérieures, pouvait-elle connaître tous les détails de la négociation ? savait-elle alors, pouvait-elle savoir ce que nul n’ignore aujourd’hui, parmi ceux qui ont étudié ces choses de près, je veux dire les menées de sir Henry Bulwer et le changement de politique si brusquement introduit par lord Palmerston ? La politique française a été constamment fidèle dans cette affaire à un plan de conduite, bon ou mauvais, mais loyalement annoncé dès le premier jour. La politique anglaise, parfaitement loyale et droite avec le ministère tory, a dévié sans vergogne avec le ministère whig. Lors Zberdeen écrivait à sir Henry Bulwer : "Vous avez eu grand tort de remettre en avant la candidature du prince de Coburg ;" lord Palmerston arrivant au pouvoir écrit à Bulwer : "Vous seul avez raison."

Les premiers coupables ici, au moins dans l’ordre des dates et la succession des faits, ce sont les deux diplomates entre lesquels s’est engagée la bataille, sir Henry Bulwer et le comte Bresson.