Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sérénité de l’air printanier, comme une pensée triste s’évapore dans une âme heureuse. Les hommes se rassemblaient sur la place devant l’église ; ils avaient leurs belles chemises du dimanche et fumaient leurs pipes à garniture d’argent, car on était, au lundi de la Pentecôte, jour de fête et de réjouissance universelle…

« La jeune fille s’arracha enfin à sa rêveuse contemplation. Après un dernier regard d’adieu adressé aux joyeux et bruyans villages d’en bas, elle fit demi-tour et se mit à gravir les mornes champs de neige qui conduisaient au Hochjoch, c’est-à-dire à l’exil. »

Dès l’abord, dans sa hutte de cailloux, au sein des antiques névés, Wally est prise d’un frisson de peur. La croyance locale a peuplé de fées et de génies tous les monts glacés de la région ; le bonhomme Murzoll notamment et ses filles les « bienheureuses demoiselles, » ennemies irréconciliables des chasseurs de chamois, défraient les superstitions courantes de l’OEtzthal, et je me souviens d’avoir retrouvé jusque dans la Haute-Engadine, en deçà des défilés de Finstermünz, puis encore beaucoup plus au sud, aux environs du mont Portole, la vivace traînée de ces légendes murzollaises. Aussi le premier songe de Wally, sur sa cime désolée, est-il tout plein de fantômes. Elle rêve, un peu trop longuement, soit dit au passage, que le géant de la montagne l’emporte dans ses bras de pierre au « palais de cristal » de ses filles. Là, les fées lui offrent de devenir comme elles « bienheureuses ; » mais il faut qu’elle consente à voir s’arrêter les battemens de son cœur, il faut qu’elle renonce à la société des humains et à l’amour de Joseph. La société des humains, Wally n’en a cure ; mais pour l’amour de Joseph, c’est une autre affaire. Elle résiste énergiquement, et s’attire par sa résistance cette sinistre malédiction de Murzoll : « tu t’es mise en révolte contre la terre et le ciel ; le ciel et la terre te seront ennemis. Si tu rentres parmi les hommes, nous mettrons Joseph en pièces et nous te précipiterons avec lui dans l’abîme. »

On devine que cette vision fatidique n’est qu’une agrafe artificielle forgée pour relier par avance le dénoûment au prologue ; passons, notre intérêt va de préférence aux développemens psychologiques empreints d’un sain naturalisme. La rustique Wally est au demeurant un esprit fort et une âme libre ; cette vie solitaire, au milieu d’un petit troupeau de chèvres et de brebis, va merveilleusement à ses instincts ; la sauvage montagne a bien vite usé pour elle ses terreurs ; en revanche, elle garde l’attrait indélébile de ses grandioses sublimités. Du haut de son empyrée, la jeune fille peut au moins, sans nulle contrainte, songer à Joseph. Aussi, quand, à l’entrée de l’hiver, un pâtre de son père revient la chercher, ne se résigne-t-elle qu’avec une sorte de répugnance à regagner son village natal. Ce « retour au pays » forme un des épisodes les plus