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foudroyé, il annonce à la fermière de la Sonneplatte que Joseph l’a chargé de l’inviter solennellement à la danse pour le jour de la Saint-Pierre ; le rendez-vous aura lieu le surlendemain à l’hôtellerie du Cerf. Dans les usages locaux, une pareille invitation passe pour l’équivalent d’une demande en mariage. Cette fois enfin Wally a de bonnes raisons pour se parer ; aussi s’attife-t-elle de ses plus riches bijoux, et dans la poche de sa robe d’hymenée elle glisse par surcroît deux cadeaux de circonstance, destinés à celui que tout le village avec elle considère déjà comme son époux : une belle pipe en écume de mer et un anneau.

Jamais danse de fiançailles n’avait excité à ce point la curiosité des montagnards ; il était venu du monde de toutes les localités circonvoisines ; dans ce public figurait avant tout le bataillon fort respectable des prétendans évincés. Joseph, arrivé sous la grande porte de la ferme, prit par la main Wally, qui étouffait de joie et d’orgueil, et la conduisit en cérémonie à l’enseigne du Cerf. Les façons du jeune homme n’étaient pourtant pas celles d’un épouseur ; sa physionomie avait un air étrange, presque farouche ; de plus, — était-ce intention ou hasard ? — il avait mis à l’envers la plume de coq de son béret, comme c’est l’habitude des montagnards en quête d’une querelle. En pénétrant dans la salle de bal, Wally frôla Benoît Klotz, qui était présent, lui aussi, et qui l’avertit tout bas d’être en défiance ; mais de quoi Wally, au bras de celui qu’elle aimait, eût-elle bien pu se défier ? Déjà les couples sont en place et l’orchestre n’attend qu’un signe : Joseph, lâchant la main de Wally, se place devant la jeune fille dans une attitude presque solennelle et lui dit à haute voix, de façon que tous entendent : — Wally, j’espère qu’avant de danser avec toi, je vais avoir le baiser qu’aucun de tes prétendans n’a pu te ravir. — Et comme Wally, après un moment d’hésitation, hausse timidement sa figure jusqu’à celle du chasseur : — Non pas, reprend ce dernier, je veux conquérir ton baiser et non en être gratifié. Allons, défends-toi, et ne me fais pas la partie plus belle que tu ne l’as faite aux autres ; sinon il n’y aurait pour moi aucun honneur.

À ce mot, le sang des Stromminger se réveille en Wally ; rouge de honte et de colère, elle se redresse et défie Joseph. Devant toute l’assistance endimanchée s’engage un duel sauvage, effréné, dont chaque péripétie provoque dans la salle de malicieux éclats de rire. Le tueur d’ours l’emporte enfin ; il conquiert son baiser, non sans avoir durement peiné. Un hurra universel retentit ; la pauvre fiancée s’est affaissée demi-morte sur la poitrine du chasseur ; mais lui, la repoussant : — Doucement, dit-il d’un ton moqueur, il ne m’en faut pas davantage. — Et comme la jeune fille le regarde d’un air effaré : — Ah çà ! reprend-il, t’es-tu figuré que j’étais venu en