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épouseur ? Non pas. Dernièrement, à la procession, tu as dit devant tout le monde qu’Afra était ma bonne amie parce qu’elle était de facile abord ; tu as ajouté que le tueur d’ours n’avait pas le courage de s’attaquer à la Fille au vautour… J’ai voulu te montrer que je pouvais venir à bout de toi. C’est assez ; le baiser que je t’ai pris, je vais le porter à mon Afra en expiation du tort que tu lui as fait. Et vous autres, ajouta-t-il d’un air étrange, épargnez-moi vos applaudissemens.

La fête est close avant d’avoir commencé ; toute la troupe des prétendans mal en point est partie, hennissant de plaisir ; deux personnes seulement sont restées auprès de Wally : Benoît Klotz et Vincent Gellner. Benoît le premier s’approche d’elle et lui demande ce qu’il faut faire, ce qu’elle attend de son amitié. — Ce que je veux ? s’écrie-t-elle, je veux qu’il meure. — L’honnête Klotz recule épouvanté : — Dieu te garde ! Wally, — répond-il en guise d’adieu, et il quitte la salle à son tour. Vincent, lui, s’est avancé vers la jeune fille, l’étincelle aux yeux — Wally, parles-tu sérieusement ? — Elle lève la main pour jurer : — Celui qui le déposera mort aux pieds de son Afra, celui-là je l’épouse, aussi vrai que je m’appelle Waliburga Stromminger.

La nuit suivante, deux coups de feu retentissent au bord de l’Ache, dans la direction de Zwieselstein. Wally, qui n’est point couchée, entend la détonation. Qui peut chasser à cette heure ? Mais non, personne ne chasse. Un éclair traverse l’esprit de la jeune femme : si c’était Vincent qui… Elle se souvient de l’horrible parole qu’elle a proférée la veille dans sa colère ; mais, depuis la veille, sa colère s’est éteinte dans son amour, qui, lui, est inextinguible. Malgré tout, elle pardonne ; ce crime qu’elle souhaitait, elle ne veut déjà plus qu’il s’accomplisse. Éperdue de terreur, elle se précipite au dehors, elle court au logis de Vincent. Le jeune homme est absent, et sa carabine n’est point à son clou. Elle veut cependant douter encore ; mais, à deux pas de là, elle rencontre Vincent lui-même, tout pâle, le fusil à l’épaule. Vincent a en effet tiré sur Joseph, et la façon dont il raconte la chose à Wally est effrayante de simplicité et de vérité.

« Ç’a été une rude besogne, dit-il en s’essuyant le front ; je n’aurais pas cru, ma foi, qu’il viendrait sitôt se mettre au bout de mon fusil. Le diable seul sait ce qui l’a fait rôder comme cela dans la nuit ! Imagine-toi, j’avais l’intention de me mettre en route de bonne heure pour arriver à Sölden dès le matin, avant qu’il fût levé, et voilà que, du premier pas, il me tombe sous la main. C’est égal, il faisait encore trop sombre ; la première balle l’a manqué, et l’autre l’a seulement effleuré. Il a dû tout de même être étourdi, car il a chancelé sur le sentier et s’est appuyé au garde-fou. J’ai