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même ce que signifie, en son acception la plus haute et la plus honnête, le mot d’émancipation, le cœur d’Ernestine retourne à sa sauvagerie native, « Ce n’est qu’une fille, » répétait autrefois son père ; « ce n’est qu’une femme, » répète aujourd’hui le monde. Eh bien ! puisqu’il le faut, elle demeurera rivée à Leuthold ; elle oubliera Jean et son rêve d’amour à peine ébauché. « Madame, dit-elle en parlant à la conseillère, je n’ai jamais songé à devenir la femme de votre fils, encore moins, si cher qu’il me soit, à lui faire le sacrifice de mes idées et de mes études. Je n’ai rien souhaité de plus que le bonheur de pouvoir donner à un homme au monde le nom d’ami ; ce bonheur même, je saurai y renoncer, rapportez-vous-en à moi. Adieu. » Et, comme jadis, toute petite, elle s’était sauvée en pleurant de la fastueuse résidence d’Unkenheim, elle s’enfuit, le cœur brisé, de la modeste maison de N…

Ici la thèse, sinon le drame, touche à son point culminant ; la question doctrinale est posée avec tous ses termes. Si rien n’a marché à faux, on doit savoir dès maintenant ou trouver le point de la démonstration. Le trouve-t-on en réalité ? Aperçoit-on d’une vue nette où tend le conflit d’idées qui forme la substance philosophique du roman ? Mais d’abord, que sont devenus les élémens du procès que l’auteur avait à instruire ? Mme de Hillern a eu certainement pour but de nous démontrer qu’une femme joue gros jeu à sortir de sa sphère d’action traditionnelle pour aller sur les brisées du sexe fort, que l’étude de la science pure est toujours malsaine à son cœur, et que trop souvent, aux yeux du monde, elle encourt une sorte de déchéance morale rien que par cet effort d’émancipation à l’aide du travail intellectuel ; mais il fallait, je le répète, que la conclusion ressortît, non pas de circonstances extraordinaires, de combinaisons accessoires, par lesquelles se trouvent altérées d’avance toutes les données du problème, mais du fond naturel des choses, du développement normal des faits et des caractères. Le cas d’Ernestine ne prouve rien dans l’espèce : je vois bien que j’ai affaire à une âme malade ; seulement la science, mise en cause, n’en peut mais. Tout le mal gît ici dans certaines conditions d’existence qui se sont ni indispensables ni exigibles pour les femmes qui veulent étudier la physiologie et l’anatomie. La pupille de Leuthold est une nature déformée par un système d’éducation exceptionnel ; elle s’est développée ou plutôt étirée d’un côté unique ; le cerveau chez elle s’est boursouflé aux dépens du cœur ; que dis-je, cette « émancipée » possède à peine son libre arbitre : en tout, elle sort de la règle, elle frise le phénomène ; donc, elle ne peut faire preuve..

Voici maintenant une autre critique qui n’est pas moins grave.