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comparer au vrai vin de Bordeaux ; la prétention me semble exagérée ; ce qui lui manque, c’est ce parfum, cet arrière-goût tout particulier, ce je ne sais quoi dont le palais qui l’a une fois connu garde le souvenir et que les connaisseurs appellent le bouquet. Tel qu’il est cependant, le médoc alavais obtient encore comme vin de table un joli prix marchand. « Voyez-vous, me disait le brave vigneron, une compagnie qui se fonderait ici ferait fortune ; elle achèterait le raisin aux cultivateurs, — à l’époque des récoltes, cela est facile, — et fabriquerait elle-même le vin selon la méthode de France ; assurément les débouchés ne lui manqueraient pas soit chez nous, soit en Angleterre ou aux États-Unis. Quant aux gens du pays, pour le moment on ne peut guère compter sur eux ; à tous les résultats perfectionnés qu’on leur promet ou qu’on leur fait voir, ils préfèrent de beaucoup ce vin grossier et vaseux qui empâte la bouche, mais dont ils ont l’habitude. »

Une fois sorti de la cuve, le vin est mis non pas dans des tonneaux ou des barriques, comme chez nous, mais dans des foudres de dimensions colossales, contenant parfois jusqu’à 10,000, 12,000 et 15,000 litres. Afin d’écarter autant que possible le danger d’un retour de fermentation, les caves sont très profondes et très fraîches. On m’a montré celles d’El Ciego ; un peu distantes des habitations, elles forment à elles seules un village distinct ; la plupart datent déjà de plusieurs siècles et témoignent d’une prospérité disparue. Le sol de la montagne a été creusé, fouillé, souvent à une profondeur de deux ou trois étages ; de gros piliers soutiennent les voûtes. Là s’alignent symétriquement des tonneaux monstres, dignes des caves d’Heidelberg ; comme ils ne pourraient jamais passer par la porte ou par les étroits couloirs ménagés au long des parois, c’est sur place qu’on les construit, qu’on les emplit, qu’on les répare ; vus ainsi à la lueur des lampes fumeuses, avec leurs proportions énormes dont l’ombre encore agrandie se reflète fantastiquement sur les murs, on se prend à regretter davantage que le liquide qu’ils contiennent soit si’ fort au-dessous de la réputation et de la valeur qu’il devrait avoir.

A une heure de marche d’El Ciego environ se trouve la petite ville de La Guardia, qui fut le théâtre d’un des plus brillans faits d’armes de cette guerre de surprise. Dans les premiers jours du mois d’août 1874, presqu’à la barbe des libéraux, dont le quartier-général, situé à Logroño, n’était distant que de 3 ou 4 lieues à peine, le brigadier carliste Alvarez s’approche de la place ; il avait avec lui deux bataillons renforcés de quatre petites pièces de montagne. Mettant à profit l’incurie de la garnison, il fait à la nuit occuper par une compagnie une masure abandonnée qui se trouvait près d’une des portes, avec ordre de se jeter dans la ville dès qu’on