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toujours avoir besoin. Si elle s’est séparée de sa première dynastie bavaroise, avec laquelle elle faisait fort mauvais ménage, ce n’a été qu’un simple divorce, et, dans sa révolution même, la Grèce a eu le tact de renverser un roi et non la royauté. Quelques esprits n’ont pas vu sans déplaisir la Grèce oublier ses anciennes traditions républicaines et fédératives; ils en eussent voulu faire une sorte de Suisse maritime. De pareils regrets proviennent d’un archaïsme plus préoccupé des souvenirs du passé que des besoins de la vie moderne. Dans un temps où une civilisation unitaire rassemble en grands corps de nation des peuples comme l’Allemagne et l’Italie, divisés depuis des siècles, la petite Grèce, unifiée par le despotisme et la servitude, ne pouvait, au premier jour de son affranchissement, se fractionner et se morceler elle-même pour s’affaiblir vis-à-vis de l’étranger et du musulman. Quoique les intérêts de clocher jouent un trop grand rôle dans la politique hellénique, l’esprit de clan ou de tribu, vivant encore dans quelques districts de l’Hellade, chez les Maïnotes de la Morée par exemple, était bien moins vivace chez les Grecs qu’il ne l’est demeuré chez leurs voisins et parens, les Skipetars d’Albanie. Le fédéralisme républicain n’eût été pour les Grecs qu’une cause de plus d’anarchie et d’impuissance; en dépit du morcellement physique de leur petit territoire, découpé par tant de golfes et cloisonné de tant de chaînons montagneux, l’unité politique de l’Hellade est aujourd’hui aussi conforme à la nature et à la civilisation qu’elle l’était peu dans l’antiquité.

Le maintien de la royauté à travers toutes leurs révolutions fait honneur au sens pratique des Hellènes. En cédant aux conseils d’une saine politique, ils n’ont pas répudié toutes les traditions de leur glorieux passé et tous les rêves de liberté que leur devait inspirer une longue lutte nationale, soutenue sans chefs reconnus et sans unité de commandement. La constitution de la Grèce est plus qu’aucune autre peut-être une sorte de compromis, de terme moyen. Un écrivain moderne, Dmitrios Paparrigopoulos, a, dans une comédie librement imitée d’Aristophane[1], représenté le peuple grec, le vieux Démos, entre trois femmes qui se disputent son alliance, Monarchie, Démocratie et Mme Constitution; cette dernière, accompagnée de son arrogante servante, la Chambre, qui la malmène et la maltraite. Devant les trois rivales, Démos, ignorant et volage, hésite; séduit par leurs propos, il voudrait les épouser toutes trois à la fois, et par cette raison il se décide pour Constitution, qui réunit les traits des deux autres. En Grèce, Constitution ressemble en fait beaucoup à Démocratie, pour laquelle le vieux Démos a depuis son enfance conservé un secret penchant.

  1. Dmitrios Paparrigopoulos, le Choix d’une femme, comédie traduite du grec par M. Emile Legrand. Jouaust 1872.