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nourrissant de peu et ne demandant rien, étaient, nous affirmait-on, dignes de confiance; ils en avaient l’air, et leurs pareils le montrèrent bien trois ans plus tard, lorsque plusieurs d’entre eux se firent tuer avant de laisser leurs voyageurs tomber aux mains des brigands de Marathon. En 1867, toute l’Attique plus encore que le Péloponèse, était au pouvoir des klephtes. L’on n’osait franchir les portes de la capitale. Il n’était pas sûr de se promener dans les bois d’olivier du Céphise; c’était une imprudence d’aller à Eleusis ou à Mégare, une folie de vouloir monter au Pentélique ou à l’Hymette, dont à Athènes les croupes dénudées attirent de tous côtés les yeux. Pour visiter le beau temple dorique du promontoire de Sunium, nous fûmes obligés de prendre la mer, et à notre retour on nous trouva téméraires d’avoir couché sur le sable du rivage, au lieu d’être restés toute la nuit à ballotter dans notre barque. C’était, en un mot, la Grèce du Roi des montagnes.

J’avais voyagé l’année précédente en Sicile dans des circonstances presque analogues, et m’étais trouvé à Palerme, alors que les brigands tenaient la capitale de l’île dans une sorte de blocus avant d’oser s’en emparer de vive force[1] ; aussi étais-je moins étonné du nombre et de l’audace des klephtes que de l’inertie du gouvernement et de l’indifférence du public, l’un et l’autre uniquement occupés de la Crète et du dehors. Athènes était, à cette époque même, toute remplie de joyeuses espérances malheureusement trop vite déçues. Les fonds ou les hommes que l’on eût pu employer à maintenir la sécurité publique étaient perdus à soutenir les Candiotes et à prolonger l’insurrection dont on attendait la réunion de l’île au royaume. C’est là une juste image de toute l’histoire de la Grèce contemporaine qui, n’ayant d’yeux que pour le dehors, a plus d’une fois lâché la proie pour l’ombre. La faute en est moins au caractère grec qu’aux traités qui, en enfermant le nouvel état dans des limites trop rétrécies, l’ont condamné à de perpétuels et stériles efforts pour en sortir.

A mon passage en Grèce, dans l’été de 1873, je trouvai tout changé. Les désillusions de la Crète avaient ramené l’attention sur l’intérieur du royaume. Le massacre des diplomates anglais et italiens par les brigands de Marathon, en 1870, avait décidé le pays à en finir avec le brigandage. Les campagnes de l’Attique et du Péloponèse étaient libres, rien ne mettait plus obstacle aux courses des voyageurs que le poids de la chaleur. Le douanier en fustanelle qui m’accueillit au Pirée me tendit encore la main, comme ses confrères de Turquie ou d’Egypte, mais l’ancienne bourgade avait tout l’air d’une ville, et une voie ferrée d’une douzaine de

  1. L’on sait que Palerme en effet fut à cette époque occupé par les brigands et ne put être repris que par des troupes italiennes envoyées du continent.