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et des Bulgares, pourquoi ne demande-t-elle d’autonomie ou de garanties que pour les Slaves? Les Grecs sont-ils moins malheureux ou moins dignes d’intérêt parce qu’ils ont eu plus de patience ou de sagesse? A quel titre abandonner les Hellènes à l’arbitraire musulman quand on y veut soustraire les Bulgares? Ces plaintes, il faut l’avouer, avaient quelque chose de fondé. L’excuse de la conférence est qu’elle ne pouvait tout faire à la fois, qu’elle devait courir au plus pressé, et qu’en étendant davantage ses demandes elle était plus certaine de se heurter aux refus de la Porte, déjà si peu disposée à faire droit aux réclamations de l’Europe. Le vrai grief des Grecs, dans toute cette affaire, ce n’est point du reste que la diplomatie ait trop restreint ses demandes d’autonomie, c’est plutôt qu’elle les ait étendues à trop de provinces. Si la conférence n’avait parlé que de la Bosnie et même de la Bulgarie transhémienne, de la Bulgarie comprise entre le Danube et le Balkan, les Grecs se fussent aisément réconciliés avec les projets d’autonomie de la Bosnie et de la Bulgarie. Peut-être même verraient-ils volontiers la Porte perdre entièrement ses provinces septentrionales, afin d’avoir dans l’empire moins de Slaves à leur disputer l’influence. Le vrai grief des Grecs, c’est que la conférence ait vu des Bulgares au sud du Balkan, c’est qu’à la suite de la Russie la diplomatie européenne ait officiellement reconnu comme slaves des pays qui, d’après les feuilles d’Athènes et du Phanar, ont toujours été grecs et ne peuvent être autre chose. Les représentans des puissances ont oublié que le Balkan est la limite naturelle et comme la borne historique du monde slave et du monde hellénique. Selon les Grecs, l’Occident, en se laissant associer aux propositions de la Russie, a imprudemment sacrifié l’hellénisme, qui a droit à toutes ses sympathies, au slavisme, qui n’a de titre qu’à ses défiances.

Il y a là, on ne saurait le nier, un fait considérable et gros de conséquences pour l’avenir, un fait qui à lui seul est un succès pour la diplomatie russe. La conférence de Constantinople a sinon sanctionné, du moins admis au nom de l’Europe les revendications slaves sur la Roumélie, sur des portions considérables de la Macédoine et de la Thrace. Quel que soit le sort des propositions des six puissances éconduites par la Porte, c’est là un précédent dont il faut tenir compte et dont les Grecs, les premiers intéressés, ont fort bien saisi l’importance. La diplomatie a pour ainsi dire admis théoriquement l’effacement des Balkans; viennent des troupes qui en franchissent les passages, et l’Europe ne pourra plus sans contradiction en disputer aux Slaves la possession. Comment, disent les Grecs, les puissances ont-elles abandonné et livré d’avance aux Slaves la grande muraille dont la nature a ceint Constantinople et les détroits ?