Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/653

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deur de Prométhée, c’est sa tendresse pour l’homme. Si le géant n’est qu’un être immense, un lutteur énorme, un bloc de muscles et d’os, le type de la révolte contre une divinité supérieure, ses aventures nous toucheront peu. Le titan de M. Hugo a-t-il le moindre rapport avec l’humanité ? Je ne vois qu’un seul passage où l’homme soit nommé dans ces titaniques légendes :

Jadis la terre était heureuse, elle était libre,
Et, donnant l’équité pour base à l’équilibre,
Elle avait ses grands fils, les géans ; ses petits,
Les hommes…


Et le poète refait à sa manière une description de l’âge d’or. Malheureusement, c’est lui seul qui parle, le titan ne dit rien. De ce frère inférieur, le titan ne paraît avoir aucun souci. Ce n’est pas pour lui qu’il se bat et qu’il souffre. Ah ! que nous voilà loin de Prométhée, du Prométhée d’Eschyle et du Prométhée d’Edgar Quinet ! Décidément, ce Phtos n’est qu’un acrobate colossal, étonnant le monde, sans profil pour personne, par d’épouvantables tours de force.

C’est lui pourtant qui, de la fenêtre ouverte à coups de poing sur l’infini, a découvert le Dieu unique. Si cela est, le service n’est pas médiocre. Voyons donc quel est ce Dieu. Il y a trois ou quatre poèmes dans lesquels M. Victor Hugo prétend nous faire entrevoir, au-delà de tous les mondes, au-delà de toutes les théogonies, au-delà de toutes les religions, le Dieu de l’Immensité. La place même que ces poèmes occupent dans l’ensemble de l’œuvre est significative ; les uns forment le début du premier volume, les autres terminent le second. C’est le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga ; entre ces deux termes est comprise toute la philosophie religieuse de la Légende des siècles. La première de ces pièces est intitulée Suprématie. Trois grands dieux, Vayou le dieu du vent, Agni le dieu de la flamme, Indra le dieu de l’espace, s’assoient sur le zénith et se disent : Nous sommes les seuls dieux. Tout à coup apparaît une lumière ayant les yeux d’une figure. Les dieux s’étonnent. Agni et Indra chargent Vayou d’aller voir ce que c’est que cette lumière. — Qu’es-tu ? lui demande Vayou. — Toi-même, qu’es-tu ? répond la figure lumineuse. — Je suis Vayou, le dieu du vent, et d’un souffle je puis emporter la terre à travers les étoiles. — Emporte donc ce brin de paille, dit l’apparition. Le dieu fait rage, démuselle les ouragans, déchaîne toutes les meutes de l’air, fait trembler l’univers de la base jusqu’au sommet. La tempête a épuisé ses forces, le brin de paille n’a pas bougé. Le dieu de la flamme sera-t-il plus heureux ? Agni va trouver l’apparition et le même dialogue s’engage : — Qu’es-tu ? — Qu’es-tu toi-même ? — Je suis le dieu