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coquilles qu’ils rencontraient dans l’intérieur des terres et sur des points élevés; sans chercher à reconnaître si elles étaient marines ou fluviatiles, ils déduisaient de leur existence sur la terre ferme et sur les montagnes la preuve du passage du déluge qui, gonflant les eaux de l’Océan, leur permit de déposer à ces hauteurs les restes de ses habitans. Ils en concluaient fort naturellement que le monde que l’on est convenu d’appeler le nouveau est certainement le plus ancien, puisque, les montagnes y étant plus élevées, les eaux ont à la fin du déluge découvert les premiers leurs sommets, qui, se trouvant ainsi émergés avant ceux de l’ancien monde, ont commencé la nouvelle époque. La science n’est du reste alors représentée par personne en Amérique, et les découvertes donnent lieu aux méprises les plus singulières.

Ainsi pour la première fois en 1766 on s’occupe de recueillir dans la pampa les ossemens de fossiles dans un lieu alors fort peu habité, nommé encore aujourd’hui Arrecifes et situé au nord de la ville de Buenos-Ayres. L’existence de gisemens considérables dans cet endroit avait été constatée par un capitaine de frégate espagnol en station dans les eaux de la Plata, qui, ayant cru reconnaître des sépultures de géans de l’époque diluvienne, demanda au gouverneur de nommer une commission pour les relever devant témoins avec toutes les solennités requises, s’excusant d’en faire partie, ne voulant pas, disait-il, que l’on pût croire, s’il les recueillait lui-même, qu’il avait préparé ces ossemens pour établir par une fiction la vérité d’une thèse qu’il croyait fondée. La commission se rendit au lieu indiqué, et découvrit les ossemens annoncés à 40 lieues de Buenos-Ayres, à 80 de la côte du Parana. Les médecins et chirurgiens qui composaient alors exclusivement le corps savant de cette colonie déclarèrent sous serment que les ossemens soumis à leur inspection appartenaient évidemment à des êtres raisonnables, que c’était d’ailleurs un fait avéré qu’il avait existé dans ces parages des hommes géans.

Portés en Espagne, ces restes sont les premiers ossemens de mégathériums qui aient pu être connus en Europe ; mais on ne sait rien du sort qu’ils éprouvèrent après l’examen des célébrités médicales de Buenos-Ayres. Ce ne fut que douze ans après, en 1778, que parvint à Madrid, envoyé par le vice-roi, marquis de Loreto, un squelette complet de mégathérium qui excita à ce point la curiosité du roi Charles III qu’il ordonna qu’il lui fût envoyé un de ces animaux, vivant, si c’était possible, mais pour le moins empaillé. Ce désir royal fit l’objet d’une ordonnance du 2 septembre 1780, conservée dans les archives de Buenos-Ayres, contre-signée par le ministre don Antonio Porlier.

Aujourd’hui tout le monde connaît l’importance des découvertes