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qu’un mot réveille en sursaut, comme la Belle-au-bois-dormant des contes de fées.

Je ne sais quelle avait été la nature des rêves de mon compagnon, mais un changement s’était produit en lui. Ce n’était plus le jeune homme timide et taciturne de la veille. Son front s’était éclairci, son regard n’était plus voilé. Il maniait avec aisance un magnifique cheval dont les soubresauts coquets faisaient valoir la sûreté de sa main et sa taille souple et nerveuse.

— Quel bel animal vous avez là, Frank !

— Oui, et il est aussi docile que beau. Il n’a pas été monté depuis quelques jours, et, comme je le réserve pour Jane, j’ai voulu m’assurer s’il n’était pas trop vif.

— Vous ne craignez pas de le fatiguer?

— Sultan ne se fatigue pas pour si peu de chose. Il peut voyager une journée entière sans mouiller un poil de sa robe ou ralentir son allure, reprit-il en caressant doucement le cou du noble animal, qui inclinait la tête pour atteindre la main de son maître.

— Avez-vous vu Jane, ce matin?

— Non. Elle m’a fait dire que, partant demain, elle passerait sa journée à la ferme et la consacrerait à mon père. Vous avez remarqué hier comme il a du plaisir à la voir, et combien elle, si hautaine d’ordinaire, est douce et bonne avec lui.

— Le fait est qu’il semble l’aimer comme une fille et qu’elle le traite comme un père.

— Cela est vrai, dit-il en rougissant, et ce n’est pas la première fois que je le remarque; mais hier, après notre conversation, lorsque je suis entré chez mon père, cette impression a été plus vive... Malheureusement cela ne supprime pas les difficultés, et j’en vois de grandes.

— Quelles sont-elles?

— Tout d’abord me faire aimer d’elle, obtenir son aveu : voilà les deux premières, et pour vous, qui connaissez le caractère de Jane, vous conviendrez que la seconde n’est pas la moindre; puis avoir le consentement de son père et celui du roi. Je sais que son père et le mien sont liés d’une vieille amitié, cimentée par des dangers communs. De ce côté, la réussite est possible, mais le roi me connaît peu.

— Soit, mais vous connaissez la reine, qui a été l’amie de votre sœur. Vous savez qu’Emma a un grand empire sur l’esprit du roi, et qu’il l’aime passionnément. Elle vous connaît, vous apprécie, et maintes fois je l’ai entendue parler de vous et de votre père. Elle vous cite comme un fils modèle et même comme une sorte de héros à la suite de je ne sais quelle aventure où vous l’avez tirée d’un grand danger.

— Je n’ai fait que ce que tout autre eût fait à ma place. Il y a quelques