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son passeport était pris avec des pincettes et soumis à des fumigations; la monnaie qu’il avait à payer passait dans un bain de vinaigre; des carabiniers à cheval escortaient sa chaise de poste de brigade en brigade jusqu’à la frontière toscane. Là, c’était pis encore. Cette famille de touristes se voyait obligée à un internement de quinze jours dans le lazaret. Ces procédés sanitaires sont si bien oubliés aujourd’hui qu’on s’étonne d’en trouver la mention dans un récit de voyage d’il y a quarante ans. Ticknor était de bonne composition. Cette réclusion ne lui sembla qu’un repos salutaire dans la vie ambulante qu’il menait depuis son départ d’Amérique. Sauf les musées et les palais que l’on visite en quelques jours, Florence n’avait pas alors de société qui pût retenir des étrangers. Le grand-duc régnant, quoique honnête et bien intentionné, s’était rendu impopulaire en s’abandonnant aux conseils rétrogrades du parti politique qui redoutait une révolution. La comtesse d’Albany, dont le salon avait été le plus agréable de Florence, était morte. La noblesse italienne vivait à l’écart. Qu’on le remarque, ce que notre voyageur recherche dans les villes où la fantaisie le conduit tour à tour est un ensemble de circonstances qu’il est rare de rencontrer réunies; il lui faut la culture intellectuelle parce qu’il est instruit lui-même, la vie élégante ou plutôt confortable dont un Anglo-Saxon de fortune moyenne ne saurait se passer, un milieu sympathique aux idées libérales dont il est imbu. Aussi juge-t-il avec sévérité les mœurs indolentes des peuples méridionaux.

« Les étrangers ressentent vivement l’absence de toute société intelligente, agréable, tant à Florence que dans l’Italie entière. J’ai pensé quelquefois que les Italiens s’en affligeaient eux-mêmes, surtout les personnes distinguées par le rang ou par la naissance, qui vivent tristement à l’étage supérieur, quelquefois dans un coin d’un palais vide et magnifique, sans feu en hiver, sans tapis, sans un mobilier suffisant. S’ils le font, ce n’est point par pauvreté, c’est plutôt par mollesse, par mauvaise habitude; ils s’en aperçoivent, ils en sont quelquefois honteux. Sans doute, dans les classes élevées les fortunes sont souvent compromises, surtout depuis les vingt dernières années. Les gens qui étaient en état de représenter sont obligés maintenant de vendre leurs tableaux, de louer leurs palais. C’est vrai en général à Venise et à Bologne, en partie à Florence. Cela ne justifie pas suffisamment les habitudes sociales de l’Italie, ni la faiblesse de l’instruction, en particulier chez les femmes. »

Ticknor avait passé à Dresde le premier hiver. Pour le second, il s’établissait à Rome dans un charmant logement sur la pente du Monte-Pincio, d’où l’on avait la vue sur la ville entière et les rayons du soleil toute la journée. Il y retrouvait, de même qu’à son premier